Parmi les journalistes croisés en trente-cinq ans de tribunes de presse et de salles de rédaction, il en est un, plus particulièrement, qui m'a toujours accompagné de mots chaleureux et d'idées flamboyantes, placé en profondeur ou à auteur dans l'alternance du soutien et de la relance, dans mes temps faibles et les moments forts. Comme Jean-Louis Guillet, Henri Garcia et Christian Montaignac qui furent mes mentors, Olivier Margot possède à la fois le style et l'empathie, don rare bien fait pour transmettre des sentiments et des métaphores, des faits et de la geste. Après tout, qu'est-ce donc qu'un reporter si ce n'est un passeur ? Alors quand de sa plume trempée dans l'encre de Miroir du Rugby, du Sport et de L'Equipe, il m'a fait l'honneur, ce lundi des colonnes de Midi-Olympique pour une chronique en forme d'écrin pour l'ouvrage de Michel Sitjar (cf photo) tenu à bout de bras et Jeux de lignes, co-écrit avec mon compère Benoit Jeantet, je n'ai pas résisté au plaisir d'en partager avec vous quelques extraits choisis.
"Il y a quatre mois, je vous ai parlé d'un poète, Michel Sitjar, formidable troisième-ligne aile du grand Agen des années soixante. L'ami Richard Escot avait eu la belle idée de rassembler en un seul volume intitulé Sur un pont de lumière les cinq recueils des poèmes d'un homme qui était le vent par sa vitesse et sa puissance, traversant l'adversaire, lui récitant au passage des fables de passe muraille. Sitjar était un chercheur d'or, respirant l'odeur du courage, vivant le rugby comme une esthétique, dans l'attente d'un ailleurs. Michel, c'est une vie vécue dans la brûlure de chaque instant. Le 10 juin 2019, il éteignit la lumière. S'est-il cru plus grand que la nuit ? A-t-il voulu dans sa lassitude immense défier les dieux, arracher le secret de leur cruauté ?"
"Loin du fracas et du silence, ce jeudi 30 septembre à La Maison pour Tous de Pont-du-Casse, à six kilomètres d'Agen, vous sera proposé entre 11 heures et 15 heures une séance de dédicaces de l'anthologie de Michel Sitjar. Ce beau fantôme aux trois Boucliers de Brennus sera accompagné de Philippe Sella (préfacier de cette anthologie) et de bien d'autres, comme si la mort n'était pas passée par le poète de Lamagistère, en bord de Garonne. A Pont-du-Casse, nous serons loin des grands-messes du rugby, dans l'espérance d'au moins croiser âme qui vive, voire quelque ombre fragile. Et pour tenter d'oublier le long naufrage du SUA, nous chanterons des chansons fanfaronnes et, quand même, des chants tristes. Quelqu'un peut-être entendra Sitjar déclamer Remords : "Et quand mon âme est lasse/je vais marcher sur la terrasse/ Vous êtes autour de moi/mes beaux amours d'autrefois."
"La poésie, donc, cette insurrection de la langue. Et les romans qui transfigurent le ciel. Antoine Blondin s'intercale aussitôt et en quelques mots dit presque tout : "L'homme descend du songe." (...) Les livres que nous lisons, ceux que nous écrivons viennent d'une autre partie de vie. Se procurer par exemple le tout récent Jeux de lignes, c'est choisir pour longtemps une vie différente. Le rugby est une transmission, les livres aussi. Et quand vous refermerez l'ouvrage, emporté par le fleuve du temps, ce sera comme la fin d'un monde. Et donc le début d'un autre."
Nous nous rejoindrons à Pont-du-Casse (Lot-et-Garonne), ce jeudi, pour honorer un joueur qui n'entre dans aucun classement, un authentique poète dont l'inspiration part de Joachim du Bellay et file jusqu'à René Char, traverse l'amour, la mort, la vie, le ciel, la mer ; un homme toujours sur le départ, attachant et irritant tout en même temps, un homme de convictions et de doutes, aussi. Les absents, excusés, éloignés, seront à nos côtés par l'esprit. Qu'un géant du jeu comme Philippe Sella ait été subjugué, enfant, par ce flanker des grands espaces au point d'exprimer son émotion au moment de signer la préface d'une anthologie dont il n'existe plus, maintenant, qu'une poignée d'exemplaires disponibles, raconte ce que Michel Sitjar représente dans l'imaginaire ovale.
Il me faudrait plus d'une page pour remercier toutes celles et ceux qui, comme Olivier Margot et Philippe Sella, mais aussi Jeff Fonteneau, Baptiste Gay, Christian Delbrel et Christophe Da Mota, mon imprimeur, se portèrent au soutien de ce projet d'édition, projet personnel voire intime qui trouvera son point d'orgue à Pont-du-Casse. Certains évoquent parfois "la grande famille du rugby" en traits d'ironie, sans doute parce qu'ils n'en font pas vraiment partie. Mais ceux qui la côtoient, dans mon cas depuis bientôt quarante ans, assurent qu'elle existe, parfois soudée autour de chouettes idées placées haut. Pour ne pas dire, ici entre littérature et poésie, des idéaux.