Sam Simmonds a été élu, cette saison, meilleur joueur du championnat anglais. Il inscrit ci-dessus son vingt-et-unième essai, plongeant comme on décoche une flèche, corps et esprit tendus vers l'en-but. Ce que vous ne voyez pas, et pour cause, c'est qu'avant qu'il ne dépose le ballon, la défense des Harlequins était parvenue à l'arrêter. Du moins le croyait-elle. Sam Simmonds évolue troisième-ligne centre, ce poste que les techniciens sud-africains des premières grandes heures du rugby springbok considéraient comme le rouage essentiel à la bonne marche d'une équipe au point d'y placer leur meilleur joueur.
Samedi, à Twickenham, les Chiefs d'Exeter se sont inclinés d'un souffle (40-38) au terme d'une finale ébouriffante durant laquelle pas moins de onze essais furent inscrits, chaque équipe refusant à tour de rôle de tenter les buts de pénalités, même placés sous les poteaux adverses, celui de la 66e faisant exception à cette règle que les clubs français seraient bien inspirés de suivre à la lettre autant qu'à l'esprit. Cela dit, impossible de comparer la finale du Top 14 et celle du Premiership, ne serait-ce que parce que le bouclier de Brennus n'a pas d'équivalent au monde et que des internationaux français de renom se feraient couper un bras sur le champ pour avoir, avant cela, le bonheur de soulever ce bout de bois.
Reste qu'à la litanie de buts de pénalité et les fulgurances de drop-goals, les Anglais qui furent naguère nos maîtres en matière de jeu au pied et de pragmatisme froid préfèrent aujourd'hui l'ivresse de jouer à la mains ou de viser des pénaltouches à la manière des Rochelais inscrivant le seul essai de leur triste finale derrière un ballon porté à trois minutes de la fin, choix qui doit aujourd'hui les interroger, du moins pour ne pas l'avoir fait plus tôt au lieu de laisser à leur ouvreur de poche Ihaia West le soin de manquer au pied ce qui leur aurait permis de gonfler leurs voiles au score.
Puisque le duel des charnières - Thomas Ramos enfilant le maillot numéro dix au débotté avant de l'offrir à son copain Romain Ntamack, titulaire malheureux de manquer l'apothéose, et c'est aussi et surtout pour cela que j'aime le rugby - tourna très vite à l'avantage des Toulousains, combien de temps faudra-t-il aux dirigeants rochelais pour recruter (à défaut de former) un demi d'ouverture digne de ce nom pour qu'enfin les efforts méritants de ce club vertueux soient récompensés à leur juste valeur ? Deux finales perdues, est-ce assez ou bien attendent-ils d'autres désillusions avant que de se déciller et se décider ?
Nous voilà arrivés au terme d'une saison qui sacre, de ce côté-ci de la Manche, le meilleur club, premier à l'issue de la saison régulière, champion d'Europe et surtout champion de France Espoirs, ce qui en dit long sur son potentiel et sa réserve. Cette réserve émise par Ugo Mola à l'heure de savourer ce doublé historique. Le coach toulousain a besoin de souffler. Il n'est pas le seul. Son hésitation à l'instant de repartir pour une nouvelle quête raconte le stress dont furent enveloppés joueurs, techniciens et dirigeants. Il laisse des marques.
Du stress, le groupe France ne doit pas en manquer, parti en Australie disputer trois tests-matches en dix jours avec un effectif considérablement rajeuni et inexpérimenté, contraint de laisser les finalistes à leurs célébrations pour cause de restrictions sanitaires, de convention et de calendrier à rallonge. A deux ans de la Coupe du monde, que sortira-t-il de cette tournée si ramassée ? Souhaitons juste au XV de France, sur la lancée de son Tournoi, de poursuivre dans la voie du jeu de mouvement, de préférer jouer à la main des pénalités plutôt que d'arrêter l'horloge pour les convertir au pied.
Ressourcez-vous maintenant - c'est l'intersaison - en plaçant quelques livres dans votre besace. Je vous ai proposé l'anthologie des poèmes de Michel Sitjar, conseillé La Totale (éditions Gasgogne). Vous pouvez aussi vous munir d'Oser Savoir (éditions les défricheurs), regard porté par l'auteur de ces lignes sur Kant et les Lumières. Pour ma part, j'opte pour Pétrarque. Dans son petit opuscule intitulé L'ascension du mont Ventoux, sommet que les coureurs du Tour de France emprunteront deux fois lors de la présente édition, le poète notait cet aphorisme d'Ovide, un de ses maîtres à penser, que je fais mien le temps d'un été : "Vouloir ne suffit pas : tu dois désirer pour réussir."