dimanche 28 juillet 2024
Un zébre en or
vendredi 19 juillet 2024
Les ténébreux en pleine lumière
mercredi 3 juillet 2024
Un pour tous
Le rugby a, depuis longtemps, - et au-delà du cas particulier de la balle ovale le sport en général - associé la loi du sang et celle du sol. Argentins, Tongiens, Ecossais, Anglais, Australiens, Japonais, Américain, Espagnol, sans oublier un Français évoluant pour l'équipe nationale d'Italie, illuminèrent la dernière finale du Top 14 remportée de façon spectaculaire par le Stade Toulousain face à l'Union Bordeaux-Bègles dans un stade vélodrome porté à incandescence. Œuvre au rouge, au noir et de toutes les couleurs que cette rencontre - le mot est beau - dans la nuit marseillaise dont on sait qu'elle porte à toutes les exagérations.
La première édition de cette quête du Bouclier de Brennus en 1892, et celles qui suivirent, associaient sur le terrain Brésiliens, Péruviens, Anglais et Allemands, tandis qu'en coulisses, un Ecossais, Cyril Rutherford, et un Américain, Allan Muhr, tentaient de rallier à la cause du rugby français le sévère aréopage britannique qui était alors à la tête de l'IRB, réfractaire à l'entrée d'un peuple Bandar-Log - c'est ainsi que Rudyard Kipling que l'on qualifie généralement d'humaniste décrivait les Français - sur la scène internationale. Il y parvinrent. Merci à eux.
Avant de venir au monde en janvier 1906, le XV de France portait donc en lui un métissage salutaire. Et il a continué dans la foulée. Il n'y a qu'à se rappeler du capitanat d'Abdelatif Benazzi en 1996, pour ne prendre qu'un seul exemple qui signale qu'en rugby les frontières sont abolies, et je ne parle pas là seulement de barrières géographiques. Je pourrais évoquer aussi la Nouvelle-Zélande, qui trouva au XIXe siècle dans la pratique du rugby le lien capable d'unir colons et maoris sous un même maillot pour le résultat que l'on connait, rehaussé hier par la diaspora samoane et aujourd'hui par l'immigration tongienne et fidjienne.
En ces temps troublés où, au pays des Lumières, le rejet de l'autre fait malheureusement débat, où le droit à la différence - religieuse, sentimentale, etc. - est bafoué au nom de principes conservateurs et rétrogrades, il est bon de se replonger dans ce qui fait société. Eduqué dans mes jeunes années selon les principes de liberté, d'égalité et de fraternité au sein d'un club de rugby, - comme tous les lecteurs de ce blog, j'imagine -, j'ai compris très tôt que ce qui nous rassemblait en tant que partenaires d'une même équipe était beaucoup plus fort que ce qui nous éloignait par ailleurs.
Mais surtout, j'ai éprouvé au plus haut point la notion d'émancipation par le collectif à travers la solidarité et l'équité. Tous pour un, un pour tous, écrivait le coach Alexandre Dumas au tableau noir. Etre là où se trouve le ballon mais aussi l'autre, l'équipier, ou plutôt le coéquipier, celui avec lequel on partage le jeu. Donner et recevoir. Ne jamais s'accaparer le ballon mais le transmettre. Autant de valeurs qui deviennent au fil des matches des vertus. Accepter, aussi, le nouveau venu, celui qui vient pour jouer avec nous, l'intégrer, lui faire place. S'apercevoir qu'aussi fort qu'est le meilleur d'entre nous il n'est pas grand chose sans ceux qui l'entourent.
De tous temps, l'équipe de France a tendu la main à ses adversaires. Elle a aidé les nations éloignées du courant britannique dominant à émerger, je pense ici à l'Argentine - où elle est actuellement en tournée - mais aussi à l'Uruguay, dont elle a soutenu l'éclosion ovale et pour lequel elle a trouvé un rendez-vous en milieu de semaine. Chili, Brésil, Maroc, Tunisie, Algérie, Madagascar, Espagne, Portugal, Italie, Roumanie, Russie et Géorgie, entre autres, doivent beaucoup au rugby de France. A l'heure où s'érigent des clôtures afin d'empêcher les voyageurs de traverser une planète qui, rappelons-le, n'appartient à personne en particulier, il est bon de savoir que notre patrie, c'est le rugby.