vendredi 31 janvier 2025

Trinquons à l'épique

Fallait-il se préoccuper plus que d'habitude d'une visite galloise à Saint-Denis ? Vraiment pas. Il faut ne rien savoir des affres d'une nation en perte de vitesse, polluée par de gros soucis financiers et des plaintes multiples qui donnent de cette fédération une image déplorable, pour imaginer son équipe de rugby faire chuter un XV de France au mitan de ses grands projets - une Coupe du monde 2023 gâchée, une édition 2027 porteuse d'espérance.

Car enfin, cette génération bleue dont on nous rebat les oreilles n'était bloquée par aucune inquiétude avant de déguster sa soupe aux poireaux dans un Stade de France réfrigéré, certes, mais désormais très show, en tout cas à l'unisson de son équipe depuis que sur cette même pelouse, une poignée de septistes décrocha l'or olympique, l'été dernier. Les Gallois normalement surclassés (43-0), place à Twickenham, premier test sérieux.

Malgré des affaires dramatiques et des faits divers qui enlaidissent le rugby français, il faut croire que la balle ovale demeure le nec plus ultra et Saint-Denis l'endroit où il faut être, en témoigne l'affluence, la joie et la chaleur qui donnent à cet écrin hivernal un relief festif dont beaucoup d'autres sports aimeraient disposer. Alors qu'hors du terrain les joueurs de rugby semblent, pour certains, malheureusement incapables d'inspirer le meilleur, le jeu, lui, reste une magnifique métaphore en mouvement.

Si Fabien Galthié se targue à juste titre d'avoir constitué un petit pécule de victoires en délestant son équipe du ballon et en proposant à ses joueurs de le "chasser", approche qui prouve son efficacité, ce système de jeu n'a rien de vraiment emballant. Heureusement que le large succès, match à sens unique qui tenait d'avantage de l'entraînement dirigé que d'un défi de caractères face aux Gallois, vendredi soir dans le frimas francilien, a apporté son lot d'options offensives et d'essais. Mais on attend de savoir si cette tendance est conjoncturelle ou structurelle.

Jouons un peu : mis à part Antoine Dupont qui pulvérise la concurrence, quels Tricolores actuels auraient leur place dans un XV de légendes du Tournoi des Cinq et Six Nations ? Thomas Ramos peut-il vraiment déboulonner Serge Blanco ? Quant à Louis Bielle-Biarrey et Damian Penaud, ils ont sans doute déclassé Saint-André, Dominici et Clerc à l'aile. Si Jauzion et Sella restent inamovibles au centre, quid de Pierre Albaladejo et de Frédéric Michalak à un poste, ouverture, que Romain Ntamack n'occupera pas à Twickenham, samedi prochain, sanctionné d'un carton rouge pour un plaquage haut, aussi inutile que dangereux... 

Même désigné homme du match face aux Gallois, Grégory Aldritt est loin d'avoir fait oublier Walter Spanghero et Imanol Harinordoquy en numéro 8; Thierry Dusautoir, Olivier Magne, Jean-Pierre Rives et Jean Prat s'imposent encore comme flankers. Qui pour supplanter Benoît Dauga et Fabien Pelous en deuxième-ligne ? Quel pilier sera devant Christian Califano, Sylvain Marconnet et Amédée Domenech ? Peato Mauvaka est-il capable de déloger Raphaël Ibanez ?

Entre deux Coupes du monde, alors que se profilent les déplacements tant attendus à Twickenham et à Dublin, ce Tournoi est l'occasion rêvée pour les coéquipiers d'Antoine Dupont de marquer leur territoire, de s'inscrire dans l'histoire, de donner le ton, de hisser leurs couleurs, que sais-je encore. Ce XV de France ne lèvera pas le trophée Webb-Ellis en gardant des pudeurs de pucelle, en hésitant à annoncer un Grand Chelem. L'humilité n'a jamais été un frein à l'ambition. Que risquer à viser la Lune : au pire, la flèche ainsi tirée atteindra la montagne - proverbe maori.

Sans doute restent-ils échaudés. En effet, il y a deux ans, le 11 mars 2023, le XV de France pulvérisait l'Angleterre, 10-53, sept essais à un, dans des proportions monumentales. Ce Crunch royal, premier succès à Twickenham depuis 2005 et les six buts de Dimitri Yachvili réussis avec un tee acheté la veille à la boutique de la RFU - appréciez l'ironie -, ne déboucha sur rien de bien concret quelques mois plus tard, si ce n'est une défaite en quarts de finale tandis que les Anglais, eux, recentrés sur leurs fondamentaux - conquête, défense, jeu au pied - filèrent en demie.

Rarement coup d'envoi d'un Tournoi des Six Nations aura ainsi ressemblé à une compétition calendaire cochée dans l'agenda. Clairement, il n'a pas suscité d'enthousiasme débordant, d 'attente particulière si ce n'est de voir l'équipe de France, libérée de son carcan tactique parfois trop étriqué, prendre et donner du plaisir. C'est simple, le rugby : considérer le ballon comme un trésor à conquérir puis à protéger, faire de la passe un trait d'union et du plaquage un impératif catégorique, regrouper la défense et percer là où elle n'est pas. Pour finir par marquer plus de points que l'adversaire. Certes, c'est encore Dry January, mais trinquons à l'épique !

samedi 18 janvier 2025

Vents ovales

 

La magie de l'azerty s'arrête là où l'imagination commence à déborder le long de la ligne des touches. Comment vous faire partager l'aura que dégagent les monstres sacrés du rugby portés par cet amour du jeu de balle ovale qu'il est difficile d'évaluer tant ils lui ont tout donné ? Ainsi est André Herrero, authentique gladiateur des stades quand les tribunes étaient bordées de populaires et que le synthétique n'avait pas encore envahi les terrains, figure emblématique d'un club littéralement planté au bord de l'eau, si près qu'un drop-goal trop long peut terminer sa course dans la rade.
Maintenant que les recrues dorées que Mourad Boudjellal comparait à des Rolling Stones en tournée ont remballé leurs instruments et sont rentrés chez eux, demeurent des visages familiers si peu burinés par les ans. André Herrero, premier parmi ses pairs, n'a pas besoin de médiatisation pour susciter l'admiration. Qu'il reste un moment devant Mayol et chacun s'avance pour le saluer respectueusement. Une poignée de mains, un selfie, un mot échangé suffisent au bonheur des supporteurs. Ici rien de clinquant, pas d'effet de mode : André porte avec lui l'écho des rudes combats et la passion du RCT chevillée au corps quand d'autres, que la lumière ne vient plus chercher, se sont - on ne s'en étonnera pas - éloignés du stade.
Si ce blog devait suivre à la lettre les affres et les infos, les éclats et les éclipses qui alimentent la chronique quotidienne d'Ovalie, sans doute finirai-je par vous transmettre cet abattement qui est parfois le mien à la lecture des faits divers qui ne grandissent pas ce jeu. Passons sur la sanction-mascarade infligée à l'entraîneur de Vannes pour avoir mis en doute la probité des arbitres français : pendant que le Racing 92 excluait un de ses talonneurs coupable d'avoir manqué à ses devoirs d'exemplarité, les sélectionneurs tricolores rappelaient Oscar Jegou et Hugo Auradou, sortis des geôles argentines grâce à un non-lieu, pour préparer le prochain Tournoi des Six Nations. L'actualité ovale nous propose des carambolages dont on se serait bien passés.
Je dois l'avouer, comme certains d'entre vous, j'ai été capté par l'édition 2024 du Vendée Globe, épopée maritime tracée toutes voiles dehors, record à la clé, conclue par un duel épique dans la remontée de l'Atlantique entre Charlie Dalin et Yoann Richomme. Longtemps, le solide Varois fit figure de vainqueur tant il filait fort dans le Pacifique au point de doubler en tête le cap Horn, et je ne doute pas que les dirigeants du RCT sauront un jour prochain lui rendre hommage à Mayol, où son gabarit de troisième-ligne ne déparera pas. 
Dans ces quarantièmes rugissants, toutes et tous furent à l'ouvrage et certains trouvèrent le temps d'ouvrir un livre au milieu des grains pour oublier leur solitude. Maintenant qu'ils sont revenus à terre, nous pourrions leur conseiller le prix 2024 La Biblioteca qui récompense la meilleure œuvre rugbystique de l'année. Le choix du jury s'est porté sur Vents ovales, bande dessinée en trois tomes conçue par le dessinateur Horne et les scénaristes Aude Mermilliod et Jean-Louis Tripp. "J'ai déjà reçu des prix, m'avouait ce dernier, natif de Montauban et passionné de rugby, mais celui-là me touche particulièrement. C'est comme si j'avais décroché le Brennus."
Ce joyeux trio succède à Didier Cavarot, auteur des chroniques de Monsieur Rusigby, et à Benoit Jeantet, écrivain à qui l'on doit Le ciel à des jambes, présents au Sénat, jeudi 16 janvier, pour la remise du trophée par le Philippe Folliot, à l'origine de ce prix littéraire. Saga en trois temps, Vents Ovales (éditions Dupuis) place habilement le rugby amateur au cœur d'une histoire riche en rebondissements, dans cette province que nous portons en nous et qui, finalement, relie les trois premiers lauréats tant ils donnent voix à ceux qui œuvrent avec ferveur, engagement et humilité, pour que le rugby continue d'exister dans cette petite patrie qu'est le club.

Le jury du prix La Biblioteca est constitué de Philippe Folliot (sénateur du Tarn), David Reyrat (Le Figaro), Jean Colombier (prix Renaudot 1990), Laura Di Muzio (France Télévisions), Pierre Berbizier, Max Armengaud (photographe, membre de la Casa de Velazquez), Emmanuel Massicard (Midi-Olympique)Jean-Christophe Buisson (Le Figaro Magazine) et Richard Escot (L'Equipe).