Avant que vous ne présentiez votre billet d'embarquement pour Edimbourg, juste un petit rappel : le dernier succès d'un XV de France à Murrayfield dans le Tournoi des Six Nations remonte à 2014. Sur la feuille de match ne reste de cette victoire (19-17) que Brice Dulin. Et encore, n'occupe-t-il aujourd'hui qu'un rôle de figurant - ce qu'il regrette - dans la liste des quarante-deux qui préparent à Marcoussis cette troisième levée qui peut faire basculer le XV de France vers un possible Grand Chelem. Ou pas.
Effectivement, c'est loin, 2014... Philippe Saint-André entraînait l'équipe nationale depuis deux saisons, Fabien Galthié chroniquait pour L'Equipe, Sébastien Vahaamahina était titulaire en troisième-ligne aile à la façon d'un Benazzi avant lui - le talent en moins -, et ce XV de France l'avait emporté (19-17) au rabais sans fonds de jeu ni leaders. On en a presque oublié que Jean-Marc Doussain, héros malheureux en 2011, avait été cette fois-ci présenté en sauveur, son but de pénalité réussi à la 78e permettant de sauver ce qui apparaissait à l'époque comme l'essentiel.
Deux ans plus tard, Guy Novès tenait entre ses doigts les clés du camion bleu. Il avait presque tout misé sur la vitesse, le grand large, à l'aile la vie est plus belle... Gaël Fickou et Uini Atonio se souviennent de cet épisode car aucun de leurs coéquipiers n'était parvenu à surnager au sein d'un XV de France englouti (29-18) par le réalisme calédonien. Florilège d'en-avants, cette prestation s'était autodétruite, les Tricolores s'avérant incapables de tenir le rythme qu'ils avaient eux-mêmes imposé. Espérons que Fabien Galthié, qui avait si bien analysé à l'époque depuis la tribune de presse l'absence coupable d'alternance large-ras, saura se souvenir samedi, quelques gradins plus bas, des conséquences de cet aveuglement coupable.
En 2018, Jacques Brunel revenu aux affaires pour occuper le poste laissé vacant après l'expulsion de Novès de Marcoussis par le duo Laporte-Simon, nous avions cru que ce XV de France, qui menait 17-7 à la demi-heure de jeu, pourrait remporter le bras de fer qu'il avait magnifiquement initié dès la 3e minute avec l'essai sidérant de Teddy Thomas, conforté par son doublé à la 27e. Hélas, le niveau d'intensité s'avéra trop élevé pour des Tricolores qui encaissèrent six buts de pénalité et finirent asphyxiés, 32-26.
Nous voilà maintenant arrivés à l'ère Galthié. Ce 8 mars 2020 de triste mémoire, François Cros hérita d'un carton jaune dès la 5e minute, Romain Ntamack sortit sur commotion à la 8e - remplacé par Mathieu Jalibert -, et la performance de Mohamed Haouas vira au rouge à la 37e, le pilier héraultais n'ayant pu réprimer la tentation d'un crochet. Pour faire bonne mesure, Adam Hastings, le fils de Gavin, surclassa l'infortuné Jalibert, et c'est sur le score sans appel de 28-17 que s'éteignirent les rêves français de Grand Chelem. Battu au sol et dans les airs, bloqués par les plaquages et les grattages écossais, le XV de France vécut un calvaire.
J'ai demandé à mon ami Scott Hastings, le frère de Gavin, quelle analyse il pouvait nous livrer, pour Coté Ouvert, de la situation. Et d'abord pourquoi la France ne parvenait-elle pas à s'exprimer pleinement une fois à Edimbourg. "Disons que notre passion pour le rugby, pour notre pays, pour notre équipe, atteint des sommets à Murrayfield. Certes, vous pourriez voir cela comme des éléments périphériques au match, mais ça compte, je vous l'assure, quand vous êtes sur le terrain. Même si c'est un tout petit peu, ça compte..."
Mais enfin, Scott, Flower of Scotland, deux rasades de single malt, les cornemuses dans le vent et la main sur le chardon, ça n'a jamais fait gagner personne ! Si l'émotion était un facteur de réussite, l'Ecosse serait depuis longtemps championne du monde... "La clé, face aux Français, c'est principalement la défense, précise-t-il, alors, plus spécifique. Elle demande beaucoup de précision à l'impact, dans le choix de l'angle du contact. Il est crucial de ne manquer aucun plaquage, sinon les Français ouvriront notre défense en deux. J'ai la conviction que c'est dans ce domaine où, samedi, nous allons devoir exprimer toute notre compétitivité." Et l'ancien centre écossais d'ajouter : "Il ne faut pas avoir peur d'attaquer la France, d'aller la défier balle en mains, de vouloir lui marquer des essais."
Ah, Ecosse-France, cimetière des prétentieux, tombeau des ambitions, mais surtout match charnière dans ce Tournoi 2022 ! Davantage que le dernier France-Irlande, c'est à Murrayfield que ce XV de France, promis au meilleur, va passer son test de qualité. Et il peut s'attendre à un traitement de qualité. "La France, nous la voyons toujours auréolée d'un talent collectif particulier, une façon différente de toutes les autres nations d'aborder ce jeu, avoue Scott Hastings, qui attaqua sa carrière internationale dans le Tournoi 1986 par une victoire (18-17) face à Blanco, Sella, Berbizier, Garuet, Dubroca et consorts. Nous aimons affronter l'équipe de France car elle nous oblige à exprimer le meilleur de nous-même." On trouvera difficilement meilleur compliment de rugby. Meilleur définition d'un adversaire, aussi.