vendredi 13 juin 2025

Joueurs à vendre

On l'avait laissé en Nouvelle-Zélande dans un pub. Pour se délasser entre deux entraînements du XV de la Rose durant le Mondial 2011, il organisait des concours de tee-shirt mouillés et des lancers de nains. Sans que la Cour d'Angleterre s'en offusque. Il sera quand même exclu à vie de la sélection nationale. Avant de voir sa peine annulée. Qu'on le retrouve prêt à lancer un circuit professionnel en marge de l'IRB hors des fenêtres internationales n'est finalement pas si surprenant. Epoux surmédiatisé de Zara Phillips, fille de la Princesse Anne et petite-fille de feu la Reine Elisabeth II, Mike Tindall reprend ses faux airs de Jason Statham sur la scène rugbystique.

Rien ne pouvait célébrer l'anniversaire du professionnalisme avec autant de mauvais goût que l'annonce d'un circuit international dont la trame, si peu originale, n'est qu'un vulgaire "copier-coller" du projet d'un journaliste australien, David Lord. En 1984, cette compétition - à l'époque novatrice - transforma à jamais le paysage ovale en poussant l'International Rugby Board (ancêtre compassé de World Rugby) dès l'année suivante à entériner la création d'une Coupe du monde avec, dix ans plus tard, les effets que l'on sait, à savoir l'abandon de l'amateurisme.

Considéré comme le championnat de clubs le plus relevé de la planète, le Top 14 doit faire face à la concurrence de la Coupe des champions - qui ne le sont pas tous - et très prochainement d'un championnat du monde des clubs à l'image de ce que le football propose actuellement sur les stades étasuniens. Les équipes nationales, elles, qui disputent Tournoi des Six nations dans l'hémisphère nord et Rugby Championship dans le sud, sans oublier les tournées d'été et d'automne, seront bientôt engagées dans un championnat du monde dont la date sera fixée entre deux Mondiaux.

Que vient donc faire dans un calendrier déjà bien surchargé le "R360" - nom de code de ce cirque ovale - dont l'Anglais Mike Tindall est le représentant si peu crédible ? Selon notre confrère Sud-Ouest, douze franchises - huit masculines, quatre féminines - s'affronteraient seize week-ends durant dans diverses capitales mondiales avec méga-concerts à la clé et, pour les joueurs/joueuses les plus bankables, un contrat d'un million de dollars signé dans ce paradis fiscal qu'est Dubaï. N'en jetez-plus. 

La question existentielle que me posait l'ami Jean-Fabrice Kamina me taraude : verra-t-on Antoine Dupont chanter en duo avec Beyoncé ? Plus prosaïquement, où diable les stars ovales trouveront-elles le temps d'honorer leurs engagements en club et en équipe nationale ? Valseront-ils pour une très grosse poignée de dollars pendant leurs vacances obligatoires et leurs périodes de récupération, au risque de mettre leur santé en danger et finir par patauger dans le dopage pour se maintenir à niveau ? 

Trente ans après s'être séparé des principes de l'amateurisme, qui avait viré du blanc immaculé au marron foncé, le rugby d'élite continue de se jeter dans les bras du plus offrant. On achète les joueurs comme on achève les chevaux ! Meurtrie par la Grande Dépression de 1929, l'Amérique du nord n'avait rien trouvé de mieux pour s'amuser que de monter des immenses barnums au milieu desquels dansaient jusqu'à expiration des couples recrutés parmi les chômeurs et les laissés-pour-compte du capitalisme titubant.

Un siècle plus tard, la crème du rugby mondial pourrait s'exhiber sur les cinq continents jusqu'à saturation, offrant l'image d'un spectacle qui tourne en boucle. Restera toujours un trophée de cuivre damasquiné vissé sur une plaque de bois pour nous rappeler que les valses ont mille temps, que les saisons s'étirent. Les destins souvent contraires, les décisions d'arbitres parfois iniques - de moins en moins mais quand même -, le rebond capricieux et l'odeur enivrante de l'herbe coupée ras complètent nos petits plaisirs. Bayonne, Toulon et Castres espèrent pouvoir le soulever. Mais avant cela, ils devront passer par les derniers tours de piste. 

dimanche 25 mai 2025

Tous aux Quinconces

C'est là où tout a commencé. Une équipe de fondus doués pour mouler la gothique et friser l'azerty. Le point de contact avait été fixé à l'avance par Bernard Larrère, dit "Landais", avec le relais de "Lethiophe", aka Christophe Bedou, local de l'étape... Après quatre ans passés sur le support de L'Equipe, Côté Ouvert avait migré vers d'autres cieux. Arrêter de chroniquer m'avait traversé l'esprit mais un groupe de fidèles bloggeurs m'encourager à prolonger. Ce que je fis.

Rendez-vous donc aux Quinconces, à quelques heures du coup d'envoi de la première demi-finale du Top 14, cuvée 2015. Le métro bordelais allait nous rapprocher, plus tard, du Matmut Atlantique pris d'assaut et il me faudrait revenir à pied dans la nuit, deux heures de marche, pour rejoindre mon hôtel une fois mes reportages rédigés et envoyés. Mais ce calvaire n'était rien en regard du plaisir d'avoir découvert une fine équipe de connaisseurs qui allait redonner vie à ce blog, tel que vous le lisez aujourd'hui.

Après avoir signé une charte d'amitié sur l'une des nappes de la brasserie - elle est pieusement conservée dans ma bibliothèque -, nos échanges fusèrent avec autant de passion que de vivacité. Irréductibles, enthousiastes, généreux, tous appréciaient ce moment fondateur, les grandes gueules se frottant aux taiseux, les malins aux pugnaces. Et avant qu'il ne soit l'heure de se quitter après s'être découvert, l'idée d'une rencontre annuelle émergea. D'abord à Treignac. Puis à Uzerche.

Créée en 2006 par un président visionnaire, Laurent Marti, sur les décombres du Stade Bordelais et du Club Athlétique Bèglais, neuf Brennus à eux deux, l'Union Bordeaux-Bègles n'était alors pas invitée en phase finale et regardait de très loin la Coupe d'Europe. Comme le Stade Rochelais avant elle, l'UBB a donc remporté ce trophée intercontinental de haute lutte, soixante minutes durant, face aux Saints de Northampton dans un Principality Stadium de Cardiff refermé, sorte de Scala parfaitement conçue pour ce genre d'opéra ovale.

Que ces UBBistes, après avoir remplacé les Girondins du ballon rond dans le cœur des Aquitains, choisissent de fêter leur premier grand titre sur la place des Quinconces n'est pas pour nous déplaire, d'autant que samedi, nous étions tous Bordelais. Mieux que n'importe qu'elle autre équipe, l'UBB dispose de la plus belle ligne d'attaque digne d'éloge - Buros, Bielle-Biarrey, Depoortere, Moefana, Penaud - lancée par une charnière hors-pair - Jalibert-Lucu. Mais c'est d'abord un pack de fiers à bras qui étouffa les Anglais, reléguant le jeune roi Henry Pollock au rang de troupier.

Alerté par la polémique qui enfle outre-Manche à l'initiative du staff des Saints, on espère que les gestes et les propos que les joueurs Bordelais consacrèrent au coup de sifflet final à ce prodige un peu trop présomptueux n'ont pas dépassés les bornes du bon esprit, certes vachard, mais bien fait pour rappeler aux inconséquents que le rugby demeure une école d'humilité et que deux siècles de pratique n'ont pas altéré son ADN dont les invariants restent dignité, primauté de l'autorité, goût du sacrifice, canalisation de l'énergie, développement du leadership, sentiment d'appartenance et praxis.

L'UBB a donc débloqué son compteur et ouvert son armoire à trophées. Une barrière est tombée, et je crois bien que la présence de mon ami Eric Blondeau, ancien trois-quarts landais passé par l'université de Poitiers et le PORC, développeur de performance qui œuvra dans la plus grande discrétion à Clermont à l'époque du titre de 2010 sous l'ère Cotter, n'est pas étrangère à la dureté mentale dont firent preuve ces Girondins, force psychologique qui leur permit de rester devant au score, de garder la tête froide, de ne pas paniquer face aux ultimes attaques anglaises pour soulever cette coupe qui appelle d'autres succès.