Il a aussi quelque chose de Yannick Jauzion: la haute stature, le délié facile, l'humilité non feinte, la discrétion assurée et surtout cette capacité à faire jouer autour de lui après qu'il ait fracassé la défense adverse. S'infiltrant aussi en déliés dans la faille pour en ressortir sans jamais faire le pas de trop. Il est - 77 sélections au compteur bleu - cette poutre maîtresse qu'un J.D. Salinger des comptes rendus ovales pourrait hisser haut !
Il y a quelques années de cela, nous devisions au calme dans le hall qui jouxte la salle de presse de Marcoussis, lui tout jeune appelé, peu au fait des us et coutumes tricolores. De l'histoire du XV de France, aussi. En particulier de cet art, typiquement français, d'une association des trois-quarts dans la vision généreuse, enjouée et altruiste du jeu construite au sein de l'Aviron bayonnais des années 10 et 20 du siècle dernier, sous la conduite du Gallois Owen Roe, et magnifiée ensuite par Jean Dauger, le père de tous les centres.
Un autre géniteur, plumitif celui-là, Denis Lalanne, s'était un jour étonné que Yannick Jauzion, qu'il avait rencontré aux Sept-Deniers, ne connaisse pas l'existence de Jean Dauger. De la même façon, Gaël Fickou - mais il n'était pas le seul - n'avait aucune idée de la place occupée dans la galerie des Illustres par celui qui était alors le manager de l'équipe de France, à savoir Jo Maso. J'espère que dans quatre décennies, pas un trois-quarts centre appelé à porter le coq ne restera coi lorsqu'on lui demandera ce que lui inspire le nom de Gaël Fickou.
Car à l'instar de ses glorieux devanciers - Dauger, Martine, M. Prat, les Boniface, Maso, Trillo, Bertranne, Sangalli, Belascain, Codorniou, Sella, Charvet, Bonneval, Castaignède, Jauzion - et ceux comme André Brouat, Patrick Nadal, Philippe Mothe et Henri Cistacq qui mériteraient d'avoir porté au moins une fois le coq sur leur cœur, le félin francilien marque son époque. On attend maintenant qu'il la transporte, l'inspire, l'élève vers ce sommet encore jamais atteint par un XV de France, à savoir ce titre mondial qui nous tend la main.
Avant le Crunch à venir, j'entends les critiques remonter mezzo voce concernant le succès bonifié obtenu au forceps face à l'Ecosse, dimanche dernier, au terme d'une rencontre chaotique, déstructurée, indécise et furieuse, dans un Stade de France en fusion. Mais rien n'est jamais parfait, et ce jeu ne dispose pas de note artistique pour satisfaire les jamais contents de la victoire, les ratiocineurs de la performance absolue. Tant mieux.
Sublimant leur esprit de corps défensif en rage lucide pour conquérir un bonus offensif, utilisant chaque espace, chaque opportunité, chaque seconde des dix dernières minutes pour créer la cassure, les coéquipiers d'Antoine Dupont ont montré assez de ressources mentales, techniques et stratégiques pour réordonner à leur profit le chaos. Et celui qui, farouchement déterminé, déposa le ballon précieux dans l'en-but calédonien après avoir ouvert le côté fermé, s'est inscrit à cet instant précis dans notre mémoire ovale. En chimie comme en rugby, rien ne se perd, tout se transforme.