vendredi 25 décembre 2020
2021 à pleines mains
Nous l'avons laissée derrière nous. Loin derrière nous ? Pas vraiment... Car le monde d'après ressemble étrangement au monde de maintenant, voire d'avant. Mais qu'importe. Regardons devant nous. C'est le meilleur moyen de ne pas trébucher. Bien malin qui sait ce qui se trouve sur notre route quand l'incertitude gouverne selon le vent et le courant. Le mien, de cap, tire vers l'ouest et l'Amérique centrale, côté caraïbe, sous les tropiques. Ailleurs.
Là où je pars, il n'y a pas de rugby. Ou alors très peu. Personne ne sait de quoi il s'agit, comment ça se joue. Nos championnats et nos coupes, nos débats sur le jeu au sol ou l'attaque à plat n'existent pas dans cette contrée. Je n'y ai pas vu un seul ballon ovale. Et je n'ai pas prévu d'en apporter un. Même dégonflé.
Je dispose de mon attestation de déplacement. En application d'une mesure générale de santé privée qui consiste à s'éloigner un peu, à se décaler sur la passe et accélérer dans l'intervalle d'un état d'urgence sanitaire. Mon débordement est nécessaire à défaut d'être utile : je vais consulter la vie plus loin, porter assistance à la personne la plus vulnérable, c'est-à-dire moi, motif impérieux que cette convocation vers un petit paradis sur terre.
Il y a des havanes à savourer, des rhums à déguster, des pluies tropicales à écouter abrité et assis sous une tonnelle, des vagues à compter. Voilà ma mission d'intérêt individuel longue distance dans le rayon maximal que peut me fournir mon imagination, entouré d'animaux plutôt sauvages. Je pars, donc, mais reviendrai sans doute, du moins si l'on veut bien ne pas me garder au soleil. Je quitte 2020 sans regret mais avec beaucoup de reconnaissance. Merci au confinement pour m'avoir permis de lancer deux chroniques qui reliaient Littérature et rugby, une association d'idée qui a trouvé un magnifique rebond et un parfait compagnonnage.
A suivre, donc, cette fière attaque en lignes qui devrait nous mener, Benoit et moi, vers un essai qu'il nous faudra tous ensemble transformer, un essai parti de presque rien, un titre, un auteur, une phrase de jeu, des commentaires ; un essai construit mot à mot et qui aurait dû trouver un premier relais à Uzerche en avril dernier. Voilà qu'il poursuit son chemin sans cesse rehaussé. Rien que pour cela, 2020 enfermé n'aura pas été vain.
En attendant de reprendre ici courant janvier le fil de nos échanges fructueux, sincères, enthousiastes, passionnés, toniques, authentiques, permanents, renouvelés, enrichis, décalés, drôles, émouvants, je vous souhaite à toutes et tous le meilleur pour l'année 2021.
dimanche 20 décembre 2020
Sculpter son cerveau
Toute crise n'est pas seulement un danger, c'est également - traduit du chinois - une opportunité d'évoluer pour ne pas succomber et, si "aucun sport ne peut échapper aux découvertes techniques et aux valeurs culturelles du contexte", le Covid-19 permettrait-il alors de nous émanciper du verbe dont la surenchère pollue jusqu'aux plus nobles aspirations, nous émanciper aussi des outils de plus en plus sophistiqués dont le GPS intégré dans le dos du maillot est l'avatar le plus disgracieux autant que le plus symbolique ?
De tous les êtres vivants sur cette planète, l'humain est le seul capable de transformer - belle universalité de ce mot ovale - l'environnement qui, à son tour, le façonne. Avec ses sons et ses bruits, ses attitudes, son décorum, ses offrandes et les sensations qu'il développe, soit un ensemble de codes qui nous place dans le jeu et dans le stade désormais vide et pour quelque temps encore, il faut concevoir le rugby telle une langage qui n'aurait pas besoin de verbe pour nous toucher profondément. Ce que Boris Cyrulnik appelle "un bénéfice social".
Ancien joueur de rugby dans cette longue liste de chercheurs et d'artistes qui mouillèrent le maillot - citons juste René Char, Pierre Soulages, Michel Serres, Julien Gracq et Charles Juliet - le neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik dans son court essai en forme d'entretiens, J'aime le sport de petit niveau, paru en février dernier, raconte à quel point à travers ce prisme il est question de socialisation, d'éthique, de production d'échanges et d'épopée, tout ce dont nous avons besoin en ces temps de confinement imposé.
Un passage de ce minuscule opuscule m'a particulièrement interrogé. Il s'agit de celui où le Bordelais assure que la pratique sportive "sculpte" le cerveau, mais que cette action n'est que peu de chose sans le lien relationnel qu'il faut ensuite tisser. En poussant plus loin, on peut considérer à la lumière de récentes rencontres - celles du XV de France de France dans la Coupe d'automne des nations et celles de Clermont en Coupe d'Europe, par exemple - que les interactions entre les joueurs sont plus essentielles à la bonne marche d'une équipe que la pure dimension athlétique. Ce qui fait sens.
"On ne peut savoir qui on est que si l'on participe ou l'on assiste à des événements... D'où le goût que l'on a de se mettre à l'épreuve, ou d'assister à des épreuves pour en faire des mythes. Le sport a une fonction de tragédie sociale, comme le théâtre grec. Le théâtre grec mettait en scène les problèmes de la cité, et les citoyens devaient y assister. Je crois même qu'ils n'avaient pas le droit de sortir du théâtre sans avoir parlé de la pièce. Ils devaient rester sur place pour commenter entre eux - fonction démocratique - les problèmes de la cité que les comédiens avaient représentés, au sens théâtral du terme", écrit Cyrulnik. Et c'est bien de sport dont il nous parle.
De la manifestation in situ de l'activité physique réduite au degré zéro, pan de tissu social oublié dans les discours politiques de grande audience, sport interdit pour un temps trop long de visite sinon masqué, tristement confiné entre des tribunes vides, recalibré à l'état de représentation dévitalisée; et de nous devant nos écrans avec pour seul levier d'amplification notre imagination, ce qui demeure malgré tout une consolation en soi pour qui dispose d'une vie intérieure riche.
Puisque nous ne disposons que de cette aune orwellienne, éloignons-nous du salon pour entrer en forêt, ou trotter en rase campagne. Pratiquer le sport de petit niveau en prolongement de la quête du mythe passé au tamis cathodique qui occupe nos week-end, c'est aussi, encourage l'ancien rugbyman, rechercher dans les villages "des matches de très mauvais niveau", mais où "la fête est immense".
lundi 14 décembre 2020
Bonne pointure au tirage
On se souvient qu'en novembre 2017 le président de notre République n'avait daigné apporter qu'un soutien vraiment très mou du genou à Bernard Laporte en amont du vote pour l'obtention de l'organisation du Mondial 2023, élection remportée à la surprise générale par la France, adossée au savoir-faire de Claude Atcher, le deux-ex machina des candidatures France 2007 et Japon 2019. Avait été aussi remarquée l'absence à Londres de la Ministre des Sports de l'époque, Laura Flessel... A l'évidence, personne ne misait son centime d'euro sur un succès français, lequel fut arraché de haute lutte après cinq mois de préparation intensive dans une des grandes salles du CNR de Marcoussis. Nous n'étions alors que quelques uns à avoir fait nos comptes, et il fallait disposer d'un réseau d'initiés pour additionner en temps réel les voix des fédérations internationales favorables au projet français.
Le président de la FFR nouvellement élu sentait le soufre, entendait-on dans les couloirs du pouvoir. Il avait surtout donné pour la première fois aux clubs français la possibilité d'exprimer leur choix et il s'était porté sur lui. Si les politiques professionnels se pinçaient alors dédaigneusement le nez en évoquant l'ancien secrétaire d'Etat chargé des Sports du gouvernement Fillon 2 sous Sarkozy, Bernard Laporte, BEP métiers de l'électricité en poche, met aujourd'hui en lumière le rugby de France, équipe nationale inclus, après s'était employé comme personne avant lui à valoriser une candidature laissée à l'abandon par la précédente équipe fédérale, sillonnant le globe pour récolter des voix et, outsider, casser le fil sur la ligne d'arrivée devant l'Afrique du Sud et l'Irlande.
Alors forcément tout le monde l'acclame aujourd'hui, souligne ses qualités, lui serre la main, se fait prendre en photo avec lui, y compris le Président, l'autre, qui lui donne du "Bernard" comme il donne du "Claude" à Atcher, au point de nous faire croire qu'ils ont gardé les oies ensemble... Ainsi va le théâtre des opérations alors que le public est toujours interdit de stades quand les métropolitains, eux, sont bondés. Allez y comprendre quelque chose et pour ça, nous vous conseillons le "Dictionnaire absurde du Covid" de Serge Simon, le troisième homme de la bande, paru cette semaine chez Hugo.Doc.
Dans trois ans, il faut espérer que la pandémie nous aura laissé tranquilles, que les gilets jaunes seront devenus bleus, que les All Blacks ne feront pas blocs dans les rues et que la seule chose qui brûlera sera notre passion. Dans le sillage du prix Nobel de littérature 1957 Albert Camus, rappelons au passage qu' "il n'y a pas d'endroit dans le monde où l'homme est plus heureux que dans un stade..." et imaginons des tribunes ouvertes alors même que nous sont présentées actuellement des rencontres sans âme puisque sans supporteurs, matches sous cellophane sans goût, dénués de chair et privés d'échos.
Ce lundi à peine gris, dans un Paris des beaux quartiers haussmanniens nettoyé de frais, pavé luissant et trottoirs dégagés de badauds, le ban et l'arrière-ban politiques n'ont pas manqué, Président en tête, de se ruer à l'heure de l'apéro pour être sur la photo autour du trophée convointé quand, de leur côté, les joueurs du XV de France apprenaient qu'ils allaient se retrouver avec la Nouvelle-Zélande (grâce à Guy Savoy) et l'Italie (merci, Christian Louboutin) en poule A - comme abordable - du Mondial 2023.
Palais de la Bourse, donc. Tout sauf un hasard tant le symbole offert à notre douce ironie est saisissant. Qu'un tirage au sort - moment toujours attendu - suivi d'une conférence de presse se tiennent dans l'ancienne corbeille aux valeurs est la preuve sans doute aucun que le rugby est "bankable" ; preuve aussi que la France a pour principal objectif de remplir dans trois ans les caisses de World Rugby, particulièrement occupé à renflouer des fédérations exsangues pour cause d'un coronavirus qui commence sérieusement à nous taper sur le sytème.
dimanche 6 décembre 2020
Final sans limite
Quand un Anglais se débarrasse au pied du ballon, écrirait le Major Thompson, c'est pour rendre hommage en creux à William Webb Ellis et offrir l'opportunité à son adversaire du jour de s'amuser un peu. Du coup, l'arrière tricolore Brice Dulin n'a pas manqué l'occasion de relancer et même de s'offrir un essai derrière une percée en première période, dimanche. De la même façon, quand un Anglais se jette dans un regroupement, il est rarement sifflé au motif qu'il cherche toujours à nettoyer au sol pour faire vivre le mouvement, du moins le fait-il savoir à qui de droit ; en revanche, quand un adversaire a le malheur de plonger ne serait-ce qu'un doigt dans le ruck, il est promptement sanctionné et c'est ainsi, résumons prestement, que le XV de France s'est incliné en finale d'une Coupe d'automne des nations dont on peine à croire, sauf prolongement de la pandémie de Covid-19 au-delà de l'été prochain, qu'elle a un avenir.
Une poignée de privilégiés a pu suivre en présentiel ce match craquant jusqu'au bout, et c'est déjà une belle victoire pour le sport en général et le rugby en particulier. Au pays de la baguette et de fromage bien fait en période de confinement, les pouvoirs publics peinent à saisir son importance sociétale, et en attendant que semblable largesse s'étende demain aux rencontres en territoire français, on peut toujours rêver. Reste que les heureux élus n'en sont pas revenus tant la performance des Bleuets fut sans contestation possible la plus belle sortie tricolore depuis la finale du Mondial 2011 à Auckland, c'est dire si l'on voit désormais la vie en rose...
Rares sont ceux d'entre nous qui imaginaient ce XV des finisseurs - la novlangue ovale est un contre-pied - crisper les sujets de sa Gracieuse Majesté au-delà de la durée habituelle d'un match, d'autant que médias et entraîneurs promettaient outre-Manche à ces Bleuets une grosse fessée, éducation anglaise oblige. Au coup de sifflet final - succès étriqué (22-19) consommé -, Eddie Jones et son orphéon se retrouvèrent avec la farce glissée dans le fondement de leur stratégie air-sol tristement minimaliste.
Quand un Anglais souhaite remporter un titre mondial, il cache son jeu pendant trois ans, a-t-on appris, évitant scrupuleusement d'exposer ses combinaisons d'attaque de peur que tous ses adversaires utilisent la précision de leurs analystes vidéo pour décrypter et donc éventer ses options offensives. De son côté, quand le rugby Français s'engage dans une compétition de saison, c'est en n'autorisant que trois matches par international, principe novateur de sélections à la carte pour mieux émanciper les jeunes générations - merci les JIFF - et les placer sous un bel éclairage. Au conditionnel, c'est finement joué...
Comment imaginer que Kolingar, Geraci, Pesenti, Moefana et Villière, qui disputaient le deuxième test-match de leur carrière, et Tolofua qui débutait, allaient ainsi prendre la lumière ? En évitant d'insulter l'avenir ou d'ironiser - c'est très à la mode. Il suffit surtout de se rappeler toutes les fois où les techniciens étrangers en visite chez nous remarquèrent sans jalousie à quel point le rugby français disposait d'un réservoir de talents plus profond que partout ailleurs dans le monde.
Que les Cassandre se rassurent, ils ne feront jamais aussi bien que ce confrère parti depuis longtemps à la retraite, et dont nous tairons le nom par charité, qui prophétisa et écrivit dans un grand quotidien de sport, la veille du 14 juillet 1979 à Auckland, que le XV de France du capitaine Rives, battu au premier test, avait autant de chances de s'imposer au deuxième qu'un âne de remporter le Prix de l'Arc de Triomphe. Vous connaissez le dénouement de l'histoire... C'est bien la suite de cette défaite encourageante à Twickenham - qui nous fit lever de notre siège - que nous voulons connaître. Comment, désormais fort de presque quarante joueurs, le XV de France pourra tenir au mieux son rang en 2023 ? Quelles sont les étapes de progression au futur simple, les pas en avant, les succès à venir et l'âge du capitaine ? Pouvons-nous prendre date dans les Tournois et les tournées pour peu que le Covid-19 nous laisse enfin tranquilles ?
Comme l'écrit Claude Saurel, ancien entraîneur de Béziers et de la Géorgie, "il y a longtemps que les Anglais préfèrent les victoires mal acquises aux défaites justes." Il y a longtemps, aussi, que nous n'avions pas ainsi vibrés, et qu'importe le score, finalement: le sport n'est pas affaire de chiffres ni de résultats mais bien d'allant et d'élan, d'ivresse et de contenu, d'instants épiques et d'esprit d'équipe, et de ce point de vue, nous avons été sur le moment largement servis. Au-delà de la durée réglementaire.
mercredi 2 décembre 2020
«Mon Domi», par Thomas Castaignède
Comme un service, il souhaitait savoir comment transmettre ce qu'il venait d'écrire en forme d'hommage tout personnel à Christophe Dominici, brutalement disparu mardi 24 novembre à l'âge de 48 ans ; le témoignage d'une amitié sincère née dans les couloirs du XV de France, ceux de Marcoussis et des quinze mètres le long des lignes de touche des stades du monde et des Embiez. Depuis ses débuts à Mont-de-Marsan, héritier de Patrick Nadal et d'André Boniface, je partage avec Thomas Castaignède une passion pour l'art et particulièrement la peinture ; le souvenir d'une visite au Tate Museum, avec son crochet vers l'aile dédiée à William Turner, nous relie au-delà du rugby. Pour délivrer une part d'émotion, il s'est alors tourné vers Côté Ouvert, comme on distingue un intervalle. Voici sa passe à hauteur.
«Je t’avais laissé enragé le dimanche, tu étais devenu un agneau le lundi, recroquevillé au fond de ce bateau qui nous amenait sur une île où j’allais te découvrir, l’île des Embiez, étrange lieu choisi pour un stage de l’équipe de France mais tellement beau pour nous accueillir. Le paysage, nous n’en avons pas vraiment profité, mais tu as d’entrée marqué ton territoire. Avec toi, il y avait avant et après, le temps de la rigolade et le temps de l’entraînement ; toi le généreux, tu n’avais plus d’amis, tu devenais un lion ! Merci d’avoir stimulé les joueurs autour de toi, de leur avoir permis de se dépasser, toi le leader incontournable.
Tes doigts étaient durs, tes coups puissants. Ton regard attendrissant se transformait et tu devenais une bête des terrains. Quand tu l’avais décidé, personne ne pouvait t’affronter, pas même Cali. Celui que tu aimais tant se méfiait de tes coups de cornes. Ah, même tes cheveux nous surprenaient, toi l’ambassadeur de marques. Nous étions stupides avec nos différents paris, mais n’était-ce pas pour marquer un territoire que tu nous amenais à vivre des émotions, de celles qui rendent sûrement la vie moins savoureuse aujourd’hui ? On souffre tous, Domi, de cette chute dans l’inconnu, et tu nous fais encore plus mal aujourd’hui.
Tu te nourrissais de la haine de tes adversaires mais tu aimais les humains, surtout les hommes qui osaient t’affronter : ils gagnaient ton estime, même si tu leur faisais vite comprendre qu’avec toi, il n’y avait qu’une issue. Pour te vaincre, il aurait fallu t’achever et personne n’y est arrivé…
Ton dernier crochet, toi le héros du Stade Français, nous a profondément touché. Sortant de mon bureau, j’ai croisé le grand Fabien Pelous, ce capitaine qu’on respectait : il venait m’annoncer ton départ. Un signe du destin.
Enfant de Solliès-pont, tu étais devenu la merveille de Toulon. Ce club te correspondait tellement : tu avais besoin de l’amour des autres, de ce public, de cette équipe. Ils t’ont transporté vers les sommets.
On en a quand même bavé ... Tu n’as pas oublié, les deux « gros », Pieter et Sylvain, qui nous avaient laminés sur cinq cents mètres, à Marcoussis. Un défi lancé et c’était parti ! Test d’endurance! On s’en foutait, on voulait gagner. On avait préparé notre coup : partir vite et finir à fond, comme quelqu’un nous l'avait dit. Mais nos cœurs de coquelets nous avaient lâchés et les deux monstres nous avaient doublés, et battus... Quelle honte de se faire dépouiller par des « gros »... A partir de ce jour, tu avais décidé de mettre les bouchées doubles pour laver cet affront !
Le terrain était une chose, mais ce n’était rien en comparaison de ta présence en chambre. Elle pouvait être à la fois motivante et perturbante. Tu ne faisais rien comme les autres. Trois choses comptaient : ta famille, ta famille et Jeannot. Sacré Jeannot… « Tu ne l’aimes pas, mon fils ? » m’avait-il demandé d’un air menaçant. « Mais bien sûr que si...», avais-je répondu. « Parce que tu ne lui fais jamais la passe », avait-il répliqué. Alors je m’étais excusé (qui ne s’excuse pas devant Jeannot) et promis d’y veiller pour les prochains matchs...
Je n’ai pas oublié la concentration extrême qui était la tienne lorsque tu étais avec ton préparateur mental, dans cette chambre de Cardiff avant le match. Moi, joueur, en chambre avec toi, tu m’interdisais de rentrer car tu avais besoin de parler à cet homme, homme de la famille, qui sûrement te réconfortait. Car comme chacun d’entre nous, tu doutais. Pourtant, tout le monde te considérait comme un des plus forts... Peut-être n’avons-nous pas su t’aider ou t’accompagner... Pardonne-nous, si c’est le cas.
J’ai encore ce souvenir de ton saut, dans le lac de Marcoussis, nous laissant, Garba, Sylvain et moi, sans voix... Ah, tu l’aimais, Garba ! Votre chambre était en lambeaux, vos combats de lutte et vos hurlements étaient devenus partie intégrante de notre quotidien... Tu étais toujours à le faire souffrir mais sans jamais l’abîmer, et malheur à celui qui voulait s’y mêler...
Tu n’as pas oublié, et moi non plus, cette escapade de ski nautique, avec Garba, Cali et Stan Soulette... Quelle rigolade ! « Reposez-vous bien », avaient dit les coaches lors du stage de préparation de Coupe du monde en pays catalan. Immatures et sûrement insouciants, on avait décidé d’aller faire du ski nautique. Toujours à fond. Qu’est-ce qu’on pouvait rire, ensemble... Il n’y avait pas de limite. Toujours cet esprit de groupe que tu vantais. Avec toi, pas question de tricher. Et arriva ce qui devait arriver. Avec son adresse légendaire, Stan avait perdu le manche de la corde le liant au bateau et il était resté accroché à son menton, au point de lui avoir presque arraché la moitié du visage. Nous étions pliés de rire sur le bateau alors que notre ami hurlait de douleur. C’est toi qui as pris les devants pour le ramener et le faire soigner, en prétendant devant les coaches qu’il était tombé sur le sol par étourderie.
Tous ces rires qui sortaient de ta bouche nous amenaient dans un tourbillon de bonheur.
Tu as toujours voulu décider, commander. J’espère que tu ne les ennuies pas trop là-haut. Tes hurlements devant les buts encaissés vont nous manquer. Tu l’aimais, ce ballon rond. Infatigable, tu nous usais, tu trichais mais toujours avec aplomb. On t’aimait.
Tu as repris ce bateau. Tu es à la barre, cette fois. Devant, à nous attendre. On va venir te rejoindre, chacun à sa vitesse mais toujours avec la même idée : se faire plaisir et s’aimer !
A bientôt, mon ami.
Casta»
Christophe Dominici a été inhumé vendredi après-midi au cimetière de la Ritorte, à Hyères, dans le caveau familial aux cotés de sa soeur Pascale.
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