mardi 30 septembre 2025

Au fil des lignes

 

Ce n'est pas encore le Goncourt mais c'est déjà un joli challenge qui s'engage sur cette quatrième édition : choisir le meilleur ouvrage de rugby de l'année. Pour cela comptez sur un jury dont la composition doit tout à l'initiateur de ce projet, à savoir le sénateur du Tarn, Philippe Folliot, et à ses deux piliers, David Reyrat, du Figaro, et votre fidèle chroniqueur qui est, désormais, en période jubilatoire. 
Pour rappel s'y coudoient Jean Colombier, Pierre Berbizier, Laura Di Muzio, Emmanuel Massicard, Jean-Christophe Buisson et Max Armengaud. Nous y ajoutons, pour densifier l'ADN de notre équipe, le lauréat de la précédente saison, à savoir Jean-Louis Tripp, co-auteur de la saga Les Vents Ovales, bande dessinée qui place dans son tome 1 l'Ovalie en première ligne.
Cette saison se referme bientôt et avant Noël sera placé dans toutes les bonnes librairies le bandeau gagnant : Prix La Biblioteca 2025, traçant un beau sillon ouvert par Didier Cavarot (Monsieur Rusigby, au bureau ovale de la saison blanche), puis prolongé par Benoit Jeantet (Le ciel a des jambes), nos deux premiers lauréats. Deux ans après la Coupe du monde disputée en France, la production éditoriale et littéraire n'a pas été aussi fournie, c'était attendu, mais elle n'en est pas moins dense, et surtout variée. Biographie, autobiographie, récit, recueil de chroniques ou de souvenirs, album, somme historique : nous disposons d'une riche palette.
Réunis le 28 octobre - et c'est vraiment un plaisir que de se retrouver au pied de la tour Eiffel - nous allons partager nos impressions, nos coups de cœur, nous allons pousser nos favoris, présenter leurs atouts et avantages, parler style, évoquer aussi le sens que nous donnons à nos choix selon un process qui nous est propre et rappelle la phase finale du championnat : barragistes, demi-finalistes, finalistes et champion ! Ludique mais acharné.
Nous ne trahissons pas de secret, ce qui se dit reste dans le vestiaire, cette charmante salle de restaurant d'où descendent des rires et des éclats, des aphorismes et des anecdotes, sous le regard bienveillant de notre secrétaire, Marie-Dominique Hérail, gardienne de ces histoires. Puis, le vainqueur choisi, nous poursuivrons ailleurs mais à portée de drop les débats et en ouvrirons d'autres en dégustant Armagnac et cigares jusqu'à en oublier l'heure, le temps, et toute contraintes.
Bien entendu, nous n'allons pas nous quitter sans que je vous offre dans le désordre la liste des sélectionnés : Gilles Navarro (Lucien Mias, une légende du rugby français), Pierre Triep-Capdeville (Nous étions rugbymen), Jean-Paul Basly (Elastoplast 70), Francis Meignan (Ces dames d'Ovalie), Guilhem Herbert (Parce que Toulon) et David Berty (Le rugby et la vie, même match). Et il se pourrait qu'un septième candidat, Henry-Noël Ferraton surgisse in extremis du Cantal avec un roman (Sixième sens, édition l'Arbre de Rinou) qui place le rugby en arrière-plan. Une chose est certaine à ce stade de la compétition : les demi-finales seront très disputées et celui qui, le 25 novembre prochain, recevra le trophée dans les salons du Sénat - si, si, il y a un trophée - l'aura obtenu de très haute lutte.
Roland Barthes, qui n'est pas l'oncle d'un champion du monde contrairement à ce qui fut écrit il y a deux décennies dans un grand quotidien sportif par un publicitaire soucieux de bien "vendre" un reportage consacré au plus chauve des gardiens de football, écrivit : "La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer." En ce qui nous concerne, elle offre une belle course au fil des lignes. Alors laissez-vous tenter par ses rebonds et déposez ici votre avis, il m'intéresse, si d'aventure vous avez le cœur à découvrir ces ouvrages et à nous éclairer.

dimanche 14 septembre 2025

Salut, le copain

 


Il savait tout faire. Et bien. Comme son aîné Jean Prat, dont il était l'exact opposé. Cette photo le prouve, il se servait de son pied, le droit comme le gauche, pour soulager son demi de mêlée - ici Lilian Camberabero, à Colombes, sûrement derrière une touche cafouilleuse, sous le regard de son capitaine, Christian Carrère. Il fut du Grand Chelem 1968, le premier de l'histoire bleue. Son palmarès si peu épais - sept sélections seulement - ne rend pas hommage au talent qu'il exprima sur les terrains. Lui se fichait des honneurs comme de sa première quinte flush : il aimait croquer dans la vie sans retenue. Jean Salut a fini de déborder le 5 septembre.
Jeannot. Pour les intimes, dont je n'étais pas. Mais assez de connivences me permirent de le rencontrer à l'heure où la maladie commençait à lui ronger la gorge. Lui qui avait beaucoup parlé s'exprimait avec difficulté. C'était il y a neuf ans, chez lui, pas loin de Beaumont-de-Lomagne, où il était né en 1943 et avait commencé le rugby avant de rejoindre le TOEC, club redouté du temps des ballons de cuir et des maillots en coton. Où évoluait au centre René Berbizier - le papa de Pierre -, où débutait le junior Richard Astre derrière un pack de mâles, avant que le grand Elie Cester ne rejoigne Valence. Une équipe qui faisait de l'ombre au Stade Toulousain, c'est dire la place qu'occupait ce club dans le paysage rugbystique des années 60.
Cavalier émérite, Jean Salut l'était aussi dans la vie, capable de moucher n'importe quel sélectionneur tricolore trop imbus de sa position - Guy Basquet l'a appris à ses dépens. Il préférait la nuit au jour et attaquait chaque soir au poker, perdait un mois de ses émoluments de kinésithérapeute en une partie pour le regagner le lendemain, jamais très loin d'une bouteille de whisky et d'un paquet de cigarettes, dans la lignée des grands viveurs - Max Rousié, Puig-Aubert, Claude Spanghero... Il sera parti sans un regret, d'un dernier souffle rauque, au bout d'un regard malin qui racontait le personnage hors-norme qu'il fut, à l'amitié fidèle et au dégout très sûr.
Appelé au Bataillon de Joinville parmi l'élite sportive française, il forma avec Walter Spanghero et Michel Sitjar une troisième-ligne au sein de la sélection nationale militaire comme le XV de France n'eut pas toujours la chance d'en avoir par la suite. Ce que les esthètes regrettèrent. Ses facéties, ses saillies, ses virées et ses exploits alimenteraient avec truculence et irrévérence un roman d'Ovalie signé par un écrivain du genre de John Kennedy Toole. Qu'on ne s'y trompe pas, son absence d'hygiène de vie lui coûta quelques capes tricolores - par la faute de contractures musculaires et de soucis ligamentaires - mais chaque fois qu'il s'aligna ce fut avec classe et élégance, ce panache qui définit le jeu à la française. Depuis trois ans, un trophée à son nom, sculpté par Jean-Pierre Rives, récompense le joueur amateur le plus talentueux de la saison.
Premier grand blond en avant - Jacky Bouquet fut une décennie plus tôt le premier étincelant des arrières -, Jean Salut inspira Jean-Pierre Rives après avoir été le coéquipier et l'alter-ego de Jo Maso, et on tient là un flamboyant carré de rois. Lorsque celui qui n'était pas encore Casque d'Or dut honorer sa première sélection tricolore à Twickenham en 1975, son mentor - Rives porta le maillot du TOEC et de Beaumont-de-Lomagne - lui adressa un télégramme qui aurait fait aujourd'hui le miel des réseaux sociaux : "Repère bien leur numéro huit, il a un bandeau. Plaque-le dès qu'il a le ballon !" Rives suivit ce précepte et la suite prouve qu'il fit bien de faire tomber Andy "Geronimo" Ripley à chaque action amorcée par les Anglais.
On dit d'un amoureux de la nuit qu'il est un "noceur". Ainsi Jeannot Salut, éternel joueur, sut marier l'irracontable et la gloire, le rugby et sa vie, l'aurore et le crépuscule, l'impensable et le rêvé. Entré dans le jeu avec éclats, il est parti sans faire de buzz ni de bruit. Nous ne sommes pas nombreux à avoir partagé quelques unes de ses heures, et je tiens pour un privilège le temps qu'il m'accorda, pour L'Equipe, en 2016, afin que nous évoquions un peu de sa carrière et beaucoup de son existence dans le salon de son discret pavillon, situé à une portée de drop de Toulouse. 
Devenu reclus, il irradiait toujours de malice, alternant le charme subtil d'un phrasé soutenu et les crochets enveloppés de trivialité maîtrisée. Parmi les internationaux français côtoyés depuis 1983, il était parmi les iconoclastes le plus madré. Il portait en lui tout un pan de ce sport, histoires d'un autre temps. Elles animent les quelques artefacts ovales posés sur une étagère placée derrière le petit bar qu'il avait installé chez lui, et qui témoignaient discrètement des furieux rebonds de sa splendeur.