Toutes les histoires, même les mauvaises, disposent d'une fin. Covid-19, tel un roi traitre, a bouleversé le monde qui suffoque désormais, aveuglé d'écume. Depuis la mi-mars, nous luttons à contre-courant dans un effort consenti pour remonter à la source. La crise confinée nous a permis d'aller chercher de précieux ballons dans les combinaisons d'intelligences qui traversent ce blog ouvert aux relances. Ecoutant joueurs et entraîneurs s'impose une vraie coupure, rupture bienfaitrice, absence salvatrice ; elles nous donneront envie d'envoyer plus tard quelques idées vers l'aile, où la vie est belle si l'on en croit les riants barbares qui ne parlent en rugby ni le latin des hypocrites ni le grec des imposants.
Cette fin de saison distribue de nouvelles cartes et nombreux sont ceux qui annoncent du jeu en mains, "mettent leur costume et enfarinent leur visage". Calendriers, règles, rachats et élections modifient singulièrement les données. "Rions, tous applaudiront." Sport régulièrement transformé depuis sa création en 1823 - c'est même devenu son ADN - le rugby navigue, forcé, vers des horizons inexplorés, autant d'interrogations dont nous n'avons pas les réponses, en tout cas peu de résolutions claires.
Chaque semaine apporte son lot de surprises, de contre-pieds et parfois de débordements, "transforme en pitrerie les maux et les pleurs." Dans le miroir que ce virus nous présente se reflète un visage maquillé, miracle princier noyé dans l'or noir qui coule jusqu'en Biterre ou mirage foncier remboursable au crédit d'un grand stade englouti, et jusqu'aux vieux mages de la rade qui ressortent des flots quelques monstres travestis en dorades.
Alors qu'il était possible d'inventer le présent émergent malheureusement les vieilles carcasses, les rancunes tenaces et les querelles de Brest où le perdant n'a plus qu'à se baisser pour ramasser. L'effort d'imagination n'est bon que pour alimenter le réseau et s'il faut courir en vase clos c'est à la petite semelle, ballon plongé dans l'eau de javel. Peine perdue, les chantres ressassent le passé enjolivé pour mieux oublier que le futur reste facultatif sous l'épée : Damoclès ne prend pas de vacances.
Des clameurs éclatent depuis l'arrière-scène, les fanfares annoncent, retentissantes, le retour imminent d'Europe naguère enlevée et de Brennus porté sur son bouclier retrouvé après avoir été oublié en cours de joute. Le bonheur ineffable combat pied à pied la fatalité, et cette formidable progression secouée de fièvres, d'hallucinations et de frénésies compose un tableau pour l'instant inachevé au moment où tombe ici le rideau.
Partir sans clavier, ni écran, s'éloigner volontaire privé de maillot, de ballon, de crampons, loin du vacarme d'indignation délétère. Le vide cerne l'essentiel pour peu qu'on s'en donne le temps, l'espace et le silence. Le rideau vient de se baisser, épilogue assourdissant après trois mois de vertiges inédits, coda poussée en chœur au-delà de ce qu'il était possible d'imaginer.
Les confinés ruisselants, exhumés des couloirs de plots, peuvent dire maintenant comme Ferdinand : "Il est des jeux mêlés de travail mais le plaisir qu'ils donnent fait oublier la fatigue. Il est telle sorte d'abaissement qu'on peut supporter avec noblesse. Les plus miséreux travaux peuvent avoir un but magnifique." Laissons-les un temps mûrir à la tâche et retrouvons-nous dans l'été en laissant le hasard des routes croisées nous mener.