Bien sûr, Le Samouraï, ne serait-ce que pour la séquence animalière. En présence du canari, le silence, comme avec Mozart, est d'abord celui de Delon, sa marque de fabrique. Chez lui, pas besoin de dialogues pour nourrir l'intrigue : elle avance de son pas faussement nerveux. Mais surtout, pour les cinéphiles, il y a Le Guépard, inoubliable monument du septième art dans lequel l'apprenti-charcutier de Bourg-la-Reine interprète le magnétique Tancrède. Quant à ses sentiments personnels, l'acteur plaçait Rocco et ses frères sur la première marche de son podium.
Quatre-vingt onze films tournés, dont trois derrière la caméra et trente-cinq produits, neuf pièces de théâtre jouées, sept disques enregistrés (Dalida, Shirley Bassey, Françoise Hardy ), une épouse et neuf compagnes, une collection d'art (de Géricault à Soulages en passant par Zao Wo-Ki, Millet, Delacroix, Hartung, Dubuffet) digne d'un musée, une écurie de trotteurs avec lesquels il obtiendra un titre de champion du monde, et l'organisation de trois combats de boxe (Bouttier-Monzon deux fois, puis Monzon-Napolès), titre mondial en jeu : on fera difficilement plus éclectique.
Inspiré du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa publié en 1958, Le Guépard, sur les écrans quatre ans plus tard, met Alain Delon en majesté, gentilhomme garibaldien parfaitement capable de profiter des événements politiques pour mieux assoir sa position sociale, opportunisme magnifié par la fameuse tirade cynique et lucide du roman qui prend, dans le film, la forme suivante : "Si nous ne nous mêlons de cette affaire, ils vont nous fabriquer une république. Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout." Une France laissée à l'abandon par un gouvernement démissionnaire depuis plus d'un mois n'illustrerait pas mieux cette tirade.
Depuis plus de quarante ans que le rugby est mon principal pole d'intérêt professionnel, là aussi tout a changé mais beaucoup de choses sont restées les mêmes : les discussions sans fin au sujet du calendrier, les débordements de troisième mi-temps, l'apathie de certains élus fédéraux, les alliances d'avant-élections, les remous au sein du XV de France, l'indécision concernant son jeu et son incapacité à décrocher la timbale Webb Ellis, l'ambition manœuvrière des médiocres techniciens, le manque de reconnaissance à l'égard des anciens internationaux hommes et femmes, liste non-exhaustive...
La motion de défiance à l'égard du président Grill le jour d'une réunion de Comité directeur, réponse à la mise en place dans l'urgence d'une "réunion de travail" qui mêlera le 29 août rugby professionnel, équipes de France et monde amateur, donnent à l'évidence le coup d'envoi de la campagne électorale à venir. Dans une ambiance plus tendue qu'espéré, le duel annoncé depuis le mois de mai entre Florian Grill et Didier Codorniou trouvera sa conclusion le 19 octobre prochain.
A l'issue du scrutin, le rugby amateur n'aura pas changé de physionomie. Il sera toujours aussi difficile de compter sur des bénévoles dévoués et de les former, de récolter des fonds pour faire vivre les clubs, de conserver un effectif conséquent au sein des cadets et des juniors, d'organiser les déplacements sans trop greffer le budget, de créer du lien social, d'animer des activités ovales en milieu scolaire. Le XV de France, lui, restera dans le flou le plus total après le pensum d'une tournée argentine mal embouchée et terminée en fait divers.
Tout change - du ballon en cuir à l'ogive plastifiée, de l'amateurisme au professionnalisme, du doigt mouillé aux datas, du maul au ruck, du dimanche quinze heures au week-end télévisé non-stop, du coton au lycra, de l'anis à la cocaïne, des mutations aux transferts, d'Amédée Domenech à Mohamed Haouas, de Jean Prat à Oscar Jegou -, et à défaut de constater une véritable évolution dans le temps au sens bénéfique du terme, se dire qu'un jour peut-être quelque chose bougera. Et pas seulement entre les lignes.