Les Rochelais ont fait preuve d'esprit de corps. Aucun club au monde, aucune province de l'hémisphère nord et sans doute pas du sud - si ce n'est peut-être en Nouvelle-Zélande, et encore - ne pouvait remonter dix-sept points de handicap face au Leinster chez lui. Personne. Jusqu'à samedi. La Rochelle est monté sur le toit de l'Europe après avoir été enfermé à la cave. Si le jeu irlandais était fast et clinique, celui des Rochelais fut dense et furious. Ce qui donne à cet exploit un éclat à nul autre pareil. Nous avons vu là, on le jure, la plus majuscule des performances ovales. Des compétitions européennes la finale la plus prenante, haletante, ébouriffante, spectaculaire.
Mais l'engagement physique total a un prix, réglé cash en protocoles commotions et sur civière, dramatique revers d'une éclatante médaille. De la même façon, les deux passes lumineuses de l'ancien palois Antoine Hastoy pour envoyer ses centres Jonathan Danty et UJ Seuteni à l'essai contrastent avec le chapelet de percussions frontales assenées jusqu'à l'écœurement des défenses. Et comme le règlement, sans pitié pour les fautes concédées dans son propre camp, permet d'assiéger l'en-but adverse de ballons portés derrière pénaltouche, les bulldozers rochelais ne sont pas privés, comme l'an passé, d'en profiter jusque dans les derniers instants.
Sport collectif de combat et d'évitement, le rugby, on le souligne encore, demande finesse et vista, mais surtout solidarité et engagement. Samedi à Dublin, c'est allé jusqu'au sacrifice, celui du pilier droit remplaçant George-Henri Colombe, hier soldat inconnu dans les rangs franciliens, aujourd'hui statufié sur le quai Valin. Son essai gagné à coup d'épaule pour quelques centimètres derrière la ligne d'en-but puis son geste défensif devant la sienne, de ligne, payé au prix très fort d'une sortie sur civière qui glaça les cœurs autant que son plongeon victorieux les avait réchauffés quelques minutes plus tôt, raconte en face et pile ce jeu de Rugby devenu profession de gladiateurs dessinée d'un trait d'alarme et de gloire.
Comme Béziers, donc, qui régna sans partage sur le rugby français de 1971 à 1984, comme Lourdes (1948-1968), le Stade Français (1893-1908, 1998-2015) et Toulouse (1922-1927, depuis 1985) sur plusieurs générations, le Stade Rochelais - trois finales de Coupe d'Europe et des Champions pour deux titres - est aujourd'hui armé pour dominer le Top 14 sur la durée. Un socle financier vertueux sans mécène - 800 entreprises partenaires - construit par un président visionnaire et méticuleux, mais aussi un public fidèle - un peu plus de 13 000 abonnés, record national - offrent toutes les garanties pour continuer de constituer une équipe compétitive.
Après avoir recruté des sans-grades et des laissés pour compte, des doublures en manque de temps de jeu et de jeunes pousses à dégrossir, le Stade Rochelais s'est récemment offert trois authentiques All Blacks, un Springbok et un Wallaby - ce qui n'est pas rien - ainsi que quatre Tricolores en quête de rebond. Demain, un international anglais (Jack Nowell) viendra épaissir l'effectif. La semaine dernière, un entraîneur du Top 14 m'avouait, presque admiratif : "Le jeu des Rochelais est usant. Tu penses que tu peux les battre, tu t'accroches, tu fais jeu égal et puis tu loupes quelques plaquage, tu recules à l'impact et tu finis par perdre pied..." Ce qui n'est pas sans rappeler ce que l'on disait du grand Béziers.
Pour celles et ceux que ça intéresse, du vendredi 26 au dimanche 28 mai, j'aurai plaisir à vous croiser au Grand Maul, à Saint-Paul-les Dax (40), manifestation culturelle autour du rugby et de l'art (théâtre, littérature, cinéma, photo, peinture, poésie). Seront présents Philippe Dintrans, Sylvain Marconnet, Jean Glavany, Max Godemet, Maxime Boilon, Camille Dintrans, Hélène Morsly, Yvan Cujious et Guilhem Herbert.