A cette occasion, l’écurie
Williams fêtera ses quarante ans. Elle existe depuis 1977 sous son appellation
actuelle mais Sir Franck a fait courir des F1 dès 1969. A 75 ans, il reste propriétaire majoritaire à 52 % de son écurie éponyme, 692 Grands Prix au compteur. Respect. Quand je suivais la F1 pour L'Equipe Mag entre 2004 et 2008, j'ai eu très envie de rencontrer ce grand monsieur. L'occasion m'en fut donnée. Mais le résultat jamais publié.
Onze ans plus tard, j'ai trouvé dommage de ne pas donner quelques lecteurs de choix à cet entretien remastérisé pour l'occasion. D'autant que je sais parmi vous trouver des passionnés d'automobile. Comme on compte beaucoup de rugbymen dans le paddock, à commencer par David Coulthard (qui fut talonneur en cadet. "Ma pire expérience du rugby. Après, on m'a déplacé à l'aile..."), Ross Brawn - ancien pilier du côté de Reading -, Eddie Jordan, supporteur assidu du XV du Trèfle, Mark Webber (qui fut un temps soutenu financièrement par David Campese), mais aussi de nombreux mécaniciens, anglais ou écossais, chez McLaren et Williams, et aussi autour des moteurs Renault.
Onze ans plus tard, j'ai trouvé dommage de ne pas donner quelques lecteurs de choix à cet entretien remastérisé pour l'occasion. D'autant que je sais parmi vous trouver des passionnés d'automobile. Comme on compte beaucoup de rugbymen dans le paddock, à commencer par David Coulthard (qui fut talonneur en cadet. "Ma pire expérience du rugby. Après, on m'a déplacé à l'aile..."), Ross Brawn - ancien pilier du côté de Reading -, Eddie Jordan, supporteur assidu du XV du Trèfle, Mark Webber (qui fut un temps soutenu financièrement par David Campese), mais aussi de nombreux mécaniciens, anglais ou écossais, chez McLaren et Williams, et aussi autour des moteurs Renault.
Nous sommes en juin 2006, au Nurburgring. Rendez-vous
a été pris pour la fin de journée dans le paddock, au motor-home Williams, pour évoquer les débuts du fils de Keke. Sir Frank prend son
repas, au fond de la vaste aire d’accueil. Il lit les pages économiques et
financières du Times, tandis que son majordome lui présente la nourriture au
bout d’une fourchette et lui essuie régulièrement la bouche. Sir Frank tente de
tourner les pages et doit, là aussi, se fait aider.
Difficile d’imaginer que depuis son fauteuil roulant, cet homme chétif dirige d’une main de fer l’une des écuries historiques de la F1. Son dîner terminé, il nous invite à nous approcher. Sa voix, fluette, est quasi inaudible. Son visage, osseux et décharné, est étonnement lisse. Comme le professeur Xavier, mentor des X-Men, Frank Williams dégage une énergie palpable. A sa demande, l’interview se déroule en français, qu’il maîtrise parfaitement.
Difficile d’imaginer que depuis son fauteuil roulant, cet homme chétif dirige d’une main de fer l’une des écuries historiques de la F1. Son dîner terminé, il nous invite à nous approcher. Sa voix, fluette, est quasi inaudible. Son visage, osseux et décharné, est étonnement lisse. Comme le professeur Xavier, mentor des X-Men, Frank Williams dégage une énergie palpable. A sa demande, l’interview se déroule en français, qu’il maîtrise parfaitement.
«Sir
Frank, être anglais signifie encore quelque chose, aujourd’hui, en F1 ?
Je pourrais vous
parlez d’une époque, il y a longtemps, où la plupart des écuries étaient
anglaises mais la F1 s’est internationalisée, même s’il y a encore une grosse
présence anglaise au sein de diverses écuries. Honnêtement, je ne suis pas
persuadé qu’être de nationalité anglaise fasse une grande différence. Il n’y a
plus, comme avant, un savoir-faire qui nous soit propre.
Peu de gens
savent que vous avez été un rugbyman avant d’être fasciné par la course
automobile. Comment cela se peut-il ?
Après le décès de
mon père, ma mère m’a envoyé très jeune à Dumfries, en Ecosse, chez les
Frères Maristes. Là-bas, le rugby était au programme. J’ai joué demi
d’ouverture, ou fly-half, comme on dit en Angleterre. Les Ecossais, eux,
appellent le numéro dix stand-off, ce qu’on peut traduire par demi de
fermeture (sourire)…
Quels souvenirs
gardez-vous de cette époque ?
J’ai reçu une
éducation très dure. La plupart
du temps, il n’y a avait que de l’eau froide pour se laver. Les Frères ne
mettaient la chaudière en marche que lorsque la température descendait en
dessous de zéro. Jusqu’à huit heures du soir, nous étions à l’étude. J’ai
appris à parler beaucoup de langues étrangères, à commencer par le français. Je me souviens aussi que pour les châtiments corporels, les
Maristes utilisaient une lanière de cuir. J’en ai encore le souvenir douloureux
dans ma chair.
Quelles valeurs
reconnaissez-vous au rugby ?
C’est avant tout
un sport collectif, et sans esprit d’équipe il n’y a pas de jeu possible. En
rugby, il faut toujours avoir présent à l’esprit que tout seul, on n’est
rien : on existe avec les autres. On ne peut pas jouer pour soi, on ne
peut pas se reposer uniquement sur des exploits individuels : il faut
penser à jouer avec ceux qui vous entourent.
C’est un état
d’esprit que vous tentez d’insuffler dans votre écurie ?
Une écurie est
bien plus importante, en termes d’effectif, qu’une équipe de rugby. Mais nous
avons, je crois, un véritable esprit d’équipe. Cela dit, en F1, nous ne sommes
pas les seuls.
La plupart des
observateurs regrette que la F1, qui était un sport, soit devenue une
industrie. A vos yeux, est-elle seulement cela ?
Il y a trente ans
que le monde de la F1 est en permanente évolution. Il n’est pas figé, alors
forcément, ce qui était n’est plus. Le business sert à faire vivre une écurie
et, au-delà de ça, sert à faire vivre la course automobile. Et ça, c’est
incontournable. Cet aspect business est très important: il fait partie
intégrante de la F1. Mais il y a encore et toujours ce besoin vital de gagner
la course à laquelle on participe.
Au milieu de
grands constructeurs automobiles, comme Ferrari, Mercedes, BMW, Renault, Honda, vous
êtes aujourd’hui le dernier des artisans. Est-ce un statut difficile à
maintenir ?
Chez Williams,
nous avons toujours voulu rester un peu à part. C’est notre oxygène ! Mais
il ne faut pas oublier de garder un très haut niveau de technologie.
Malheureusement, il se trouve que si on veut rester complètement et totalement
indépendant, on s’affaiblit. Mon travail consiste donc à chercher des nouveaux
partenaires qui voudront bien nous accompagner, et qui sont prêts à respecter
notre philosophie et notre indépendance. Grâce à nos investissements sur ces dernières années, nous avons maintenant de grandes et belles installations.
Nous avons une soufflerie moderne (deux maintenant, dont une louée à d'autres écuries), des bureaux d’études très performants… C’est
ça, aussi, la compétition automobile. Tout ne se résume pas à ce qui se déroule
en piste, même si seule la course m’intéresse…»
«Des neuf titres
de champion du monde des constructeurs que vous avez obtenus, y en a-t-il un
qui vous touche plus particulièrement ?
(Il réfléchit
longuement). Pas un mais plusieurs, en fait. J’en vois au moins quatre. Le
premier, évidemment, en 1980, mais aussi celui de 1986, qui est aussi l’année
de mon accident. J’ai été impressionné par la façon dont toute l’écurie avait
réagi pendant que je n’étais pas là… Tout le monde avait répondu présent à deux
cent pour cent (silence). C’était superbe. Je retiens aussi les années 1992 et
1993, où nous avons gagné parce que nous avions produit des voitures
extraordinaires, quelle que soit la qualité des pilotes qui les conduisaient,
que ce soit Nigel (Mansell) ou Alain (Prost).
Après plus de cinquante passés en F1, vous n’avez jamais eu la tentation de mettre la clé sous la
porte et de passer à autre chose ?
J’adore la F1,
j’adore la course automobile. Depuis l’âge de quinze ans. Et ça n’a pas changé.
Evidemment, quand je serais trop vieux (il a 75 ans) pour travailler, que je ne pourrais plus
rien apporter de positif à l’écurie, je partirais en vendant mes parts,
certainement. Mais ce temps n’est pas encore arrivé.
Où trouvez-vous
l’énergie dont vous faites preuve ?
Ne croyez pas que
j’ai beaucoup d’énergie. Il se trouve simplement que j’aime ce que je fais.
Depuis votre
accident, votre vision de la vie a-t-elle changé ?
Ce qui m’est
arrivé (De retour d’une séance d’essais privés sur le
circuit du Castellet dans le Var en 1986, Franck Williams, au volant, victime d’un accident, est grièvement touché aux vertèbres. Il se déplace depuis sur un
fauteuil roulant) n’a pas changé ma vision de l’existence et des hommes. Ça
n’a pas changé non plus ma façon d’être. Je n’aime pas rester reclus. Je suis
quelqu’un d’actif. J’aime la vie et j’aime être en bonne compagnie.»