Vendredi 29
mai, tout Clermont célébrait le dixième anniversaire du titre, ce bouclier de
Brennus enfin ramené au pied de la statue de Vercingétorix en 2010. Chacun y est allé
de son souvenir, de son hommage, de son anecdote, mais pas un mot pour l’homme qui sut murmurer à l’oreille
de Cotter, à celles du staff et des joueurs. Celui sans lequel, très
certainement, l’ASM aurait fini par remporter ce titre, mais celui avec lequel les
Auvergnats parvinrent à briser une spirale négative après dix échecs en finale.
Formé au
rugby à Parentis, dans les Landes, passé par Angoulême, l’université de
Poitiers - où nous avons été coéquipiers -, puis le Hong-Kong F.C. et enfin Balmoral, en
Australie, du côté de Sydney, « Eric B. » était un trois-quarts centre
de belle prestance. Ami de l’ancien coach des Wallabies, Bob Dwyer, on lui doit
durant le Mondial sud-africain d’avoir tenté de créer en France un circuit
professionnel, aventure rocambolesque détaillée par le menu dans Rugby Pro,
histoire secrètes (Solar, 1998). Chef d’entreprise versée dans la vente des
futs de Cognac, il abandonna l’élevage du vin pour créer sa structure, Sephirot, spécialisée dans le développement de la performance et la gestion de
crise.
Pas un mot
sur lui, donc. Cet artisan du succès avait été oublié. Je l’ai
appelé. Sa réponse coule de source : « Que les gens oublient ce pourquoi
ils m’ont demandé de venir fait partie de mon travail. C’est intéressant et
tout à fait normal, car ça signifie qu’ils se sont appropriés les choses. » Il y a douze
ans de cela, lors d’un déjeuner avec Jean-Marc Lhermet, alors manager de l’ASM,
j’avais glissé le nom d’Eric Blondeau dans la discussion. A l’issue d’une défaite
à Mont-de-Marsan, en octobre 2008, et alors que les Clermontois sortaient de
deux finales perdues, Vern Cotter finit par rencontrer ce « sourcier ».
La suite lui appartient. « Nous avons diagnostiqué tous les écarts, tous
les trous. Il fallait que le staff et les joueurs comprennent leurs dépendances,
les attentes qu’on leur demandait de nourrir, tant pour la région, la ville,
Michelin, le club, les supporteurs, les familles, les anciens joueurs… Je me
déplaçais à Clermont deux fois par mois, pendant deux jours. C’est avec Vern, et aussi son staff et le capitaine que j’ai
effectué le plus gros travail. On travaillait
sur son mode de management, sa sémantique, les discours. »
Deux finales
consécutives perdues comme autant de rochers à remonter tel Sisyphe. « Les joueurs
avaient reçu une dette et ils se surchargeaient émotionnellement par rapport
aux enjeux qui étaient sur le terrain. Si pendant que tu joues, tu veux honorer
une dette, ton cerveau ne peut pas être en conscience sur deux champs. Si les
joueurs voulaient amener le bouclier sur la tombe de monsieur Michelin, il
fallait d’abord qu’ils gagnent la finale. » Ce qui se présenta en 2009
face à Perpignan. « L’idée, c’était de les couper de cette dette. Et s’il
voulait vraiment l’honorer, ils devaient prioritairement se consacrer au rugby.
Cette année c’est la bonne, cette année c’est la bonne, cette année c’est la
bonne : plus tu perds, plus ta dette monte et tu te sens redevable. Et
donc tu ne peux pas jouer ton meilleur rugby. »
Mais le
rocher retombe. Troisième finale d’affilée, troisième défaite. « On ne
peut pas enlever d’automatismes dans le cerveau : il faut en rajouter. Ça
demande de la répétition et donc du temps. Je ne suis pas magicien. »
Clermont menait puis se délita, pliant l’espoir en trois minutes : « Je
ne peux pas donner trop de détails mais disons que les joueurs, illusionnés par
le score, ont baissé leur vigilance, leur lucidité. Ce qui était l’inverse de
ce que nous avions travaillé durant la saison. L’adversaire nous a alors
surpris et les doutes les plus anciens se sont facilement ré-installés. »
N’importe quel
autre club, groupe, équipe, aurait craqué après cette troisième humiliation. Pas
Clermont. D’où, à mes yeux, l’importance d’Eric Blondeau dans la reconquête. «
Le diagnostic de l’échec a été très rapidement fait et on a vite redémarré la
saison suivante. L’idée était de se concentrer sur le jeu et non sur le
résultat, qui n’est qu’une conséquence. » A coup de sifflet final, victoire face à Perpignan et le nom de Clermont gravé sur le bouclier de Brennus devant l’année :
2010. « A l’issue de cette finale, les joueurs ne savaient même plus quel était le score tellement ils s’étaient concentré sur les
moments de vérité, les touches, les mêlées, les impacts, leurs
initiatives… J’étais dans les tribunes et j’ai rejoint les joueurs plus
tard. Mon rôle est hyper discret. Ca faisait un mois et demi que j’étais sorti
du cercle. »
Comme tout
rugbyman, Eric Blondeau rêvait secrètement de tutoyer un jour Brennus. « J’ai
touché le bouclier, très tard dans la nuit. Je l’ai soulevé. Il est lourd, »
ce bout de bois, objet de toutes les convoitises. Décryptage : « Il s'agit d'une représentation mentale, un symbole ; c’est-à-dire qu’à un moment
donné, tu as le droit de le toucher, tu es autorisé à... Et personne ne peut te
l’enlever. Il y a une trace dedans. Comme quand tu ramasses la balle de golf, elle a le même nombre d'alvéoles que les autres mais elle a été frappée par Tiger Woods. Avec le bouclier de Brennus, tu touches cette trace. »
Depuis cette
nuit dionysienne de 2010, Eric Blondeau a quitté Clermont. Vern Cotter l’a
ensuite appelé à ses côtés auprès de l’équipe nationale d’Ecosse en 2015. Puis
à Montpellier. Aujourd’hui, il évolue dans d’autres sphères qui ne sont pas forcément ovales. En leur temps, Marc Lièvremont et Philippe Saint-André, entraîneurs tricolores, furent en contact avec lui. Sans suite. Et donc sans regret. Il est vrai que nous avons
un don, en France, pour regarder le doigt qui montre la lune.