C'est un entraîneur d'un club de Top 14 qui discute avec son président des axes de recrutement pour la saison prochaine et il lui dit en conclusion : «Il faut faire sans eux...» Prononcée fin mars, avant l'annonce (c'était début juillet, non ?) de la liste Elite, celle des trente internationaux protégés plus Vakatawa, cette phrase raconte en creux l'écart creusé saison après saison entre les clubs et le XV de France, même si l'actuelle convention FFR/LNR renégocié souhaite au contraire relier les deux poles du rugby français.
Cent jours, voilà le temps que passeront les internationaux tricolores à Marcoussis et sur le terrain des test-matches de novembre, du Tournoi des Six Nations et des tournées d'été. Cent jours, c'est quinze de mieux que durant la période PSA passée. Une avancée, certes, qui s'est ouverte dimanche avec l'arrivée des stagiaires dans l'Essonne pour quatre jours de rassemblement. Cent jours, c'est un espoir, pense-t-on, mais finalement ce n'est pas tant que ça.
Cette convention, pour laquelle Guy Novès a beaucoup oeuvré depuis un an en coulisses et en réunion, ajoute deux semaines de stages bleus à Marcoussis, mais ne met la France qu'à hauteur de l'Afrique du sud, soit la nation la plus mal lotie de l'hémisphère sud. Pendant ce temps, la Nouvelle-Zélande tourne à cent soixante jours, soit deux mois de plus que le XV de France. L'Angleterre, elle, roule à cent trente. Une fois ce constat effectué, on se rassurera en constatant que les heures de présence ne servent pas obligatoirement à éclairer le jeu.
Faire sans eux signifie que les clubs qui fournissent du bleu ont recruté pour palier les absences de leurs meilleurs joueurs. Le niveau du XV de France devrait donc gagner ce que perdront les cadors du Top 14. Il n'y a pas de place pour eux. Pas de place pour deux. Ce qui fonctionne très bien dans l'hémisphère sud - les internationaux sont remplacés numériquement par des Colts, des "poulains", c'est-à-dire des internationaux de moins de 19 ans - va maintenant s'établir en France mais avec des seconds couteaux immigrés en solde.
Comme l'Afrique du sud ne peut pas payer au juste prix ses meilleurs joueurs, les voilà qui signent en France, et si possible là où il y a du soleil neuf mois dans l'année. Seconde couche, débarquent maintenant les autres, ceux qui n'ont même pas le pedigree international. On va leur mettre des JIFF dans la gueule. Mais ils seront toujours moins cher que des Bleuets. Et mieux (on écrirait "plus", non ?) corvéables. Il faut faire avec.
Aujourd'hui cent jours, cent quinze avant le Mondial 2019, cent trente ensuite. Et après ? Il faudra rémunérer les joueurs sur douze mois. Aura-t-on besoin d'un Stade FFR à Evry pour épaissir la trésorerie ? Vous l'entendez, c'est déjà l'enjeu de l'élection fédérale à venir. Celle pour laquelle Pierre Salviac (qui ne sait même pas ce qu'est une licence) a tapé miteusement en touche du mauvais pied ; celle pour laquelle Lucien Simon (il était la lumière d'Alain Doucet avant d'entrer dans l'ombre) se déliste ; celle qui nous inflige hebdomadairement les saillies de Bernie le Dingue devenu par magie docteur ès-éthique...
J'entends votre rire quand vous avez appris, dimanche soir, que Mourad Boudjellal en avait marre d'être président mais qu'il souhaitait quand même garder ses actions au sein du RCT et nommer un homme lige. Lui, c'est différent : même s'il part il n'ira pas très loin et il faudra de toute façon faire avec. Sa boite vocale l'annonce : "Bonjour. Je ne suis pas là. Merci de me rappeler. Au revoir."