lundi 26 septembre 2016

Faire sans eux

C'est un entraîneur d'un club de Top 14 qui discute avec son président des axes de recrutement pour la saison prochaine et il lui dit en conclusion : «Il faut faire sans eux...» Prononcée fin mars, avant l'annonce (c'était début juillet, non ?) de la liste Elite, celle des trente internationaux protégés plus Vakatawa, cette phrase raconte en creux l'écart creusé saison après saison entre les clubs et le XV de France, même si l'actuelle convention FFR/LNR renégocié souhaite au contraire relier les deux poles du rugby français.

Cent jours, voilà le temps que passeront les internationaux tricolores à Marcoussis et sur le terrain des test-matches de novembre, du Tournoi des Six Nations et des tournées d'été. Cent jours, c'est quinze de mieux que durant la période PSA passée. Une avancée, certes, qui s'est ouverte dimanche avec l'arrivée des stagiaires dans l'Essonne pour quatre jours de rassemblement. Cent jours, c'est un espoir, pense-t-on, mais finalement ce n'est pas tant que ça.

Cette convention, pour laquelle Guy Novès a beaucoup oeuvré depuis un an en coulisses et en réunion, ajoute deux semaines de stages bleus à Marcoussis, mais ne met la France qu'à hauteur de l'Afrique du sud, soit la nation la plus mal lotie de l'hémisphère sud. Pendant ce temps, la Nouvelle-Zélande tourne à cent soixante jours, soit deux mois de plus que le XV de France. L'Angleterre, elle, roule à cent trente. Une fois ce constat effectué, on se rassurera en constatant que les heures de présence ne servent pas obligatoirement à éclairer le jeu.
 
Faire sans eux signifie que les clubs qui fournissent du bleu ont recruté pour palier les absences de leurs meilleurs joueurs. Le niveau du XV de France devrait donc gagner ce que perdront les cadors du Top 14. Il n'y a pas de place pour eux. Pas de place pour deux. Ce qui fonctionne très bien dans l'hémisphère sud - les internationaux sont remplacés numériquement par des Colts, des "poulains", c'est-à-dire des internationaux de moins de 19 ans - va maintenant s'établir en France mais avec des seconds couteaux immigrés en solde.
 
Comme l'Afrique du sud ne peut pas payer au juste prix ses meilleurs joueurs, les voilà qui signent en France, et si possible là où il y a du soleil neuf mois dans l'année. Seconde couche, débarquent maintenant les autres, ceux qui n'ont même pas le pedigree international. On va leur mettre des JIFF dans la gueule. Mais ils seront toujours moins cher que des Bleuets. Et mieux (on écrirait "plus", non ?) corvéables. Il faut faire avec.
 
Aujourd'hui cent jours, cent quinze avant le Mondial 2019, cent trente ensuite. Et après ? Il faudra rémunérer les joueurs sur douze mois. Aura-t-on besoin d'un Stade FFR à Evry pour épaissir la trésorerie ? Vous l'entendez, c'est déjà l'enjeu de l'élection fédérale à venir. Celle pour laquelle Pierre Salviac (qui ne sait même pas ce qu'est une licence) a tapé miteusement en touche du mauvais pied ; celle pour laquelle Lucien Simon (il était la lumière d'Alain Doucet avant d'entrer dans l'ombre) se déliste ; celle qui nous inflige hebdomadairement les saillies de Bernie le Dingue devenu par magie docteur ès-éthique...
 
J'entends votre rire quand vous avez appris, dimanche soir, que Mourad Boudjellal en avait marre d'être président mais qu'il souhaitait quand même garder ses actions au sein du RCT et nommer un homme lige. Lui, c'est différent : même s'il part il n'ira pas très loin et il faudra de toute façon faire avec. Sa boite vocale l'annonce : "Bonjour. Je ne suis pas là. Merci de me rappeler. Au revoir."

lundi 19 septembre 2016

Remise à plat

Ceux qui apprécient les performances sidérantes des Néo-Zélandais dans le Rugby Championship ont pu s'en apercevoir ; elle apparait aussi mais plus sporadiquement dans le Top 14, principalement activée par Dan Carter et Colin Slade, ce qui semble naturel considérant que ces deux-là jouaient il y a peu pour les All Blacks. Ostracisée pour des raisons que je vais développer, puis oubliée pour les mêmes motifs mis à part chez les Wallabies des années 80-90 quand Mark Ella puis Michael Lynagh étaient à la manoeuvre, elle semble revenir au goût du jour.
 
Elle représente l'anti-thèse de l'attaque classique, et à ce titre s'est retrouvée longtemps exclue du répertoire. Les centres Lourdais Maurice Prat et Roger Martine, puis les frères Boniface à Mont-de-Marsan, adeptes de la profondeur, ne voulaient pas en entendre parler. Ceux qui suivirent en équipe de France, à savoir Bérot-Maso-Trillo, puis Romeu-Sangali-Bertranne, Lescarboura-Cordorniou-Sella et Mesnel-Sella-Charvet, ne l'utilisèrent jamais, si l'on veut bien se référer aux périodes estampillées «French Flair».
 
Nous sommes dans les aux années 80 du siècle dernier. Entraînés par Alan Jones puis par Bob Dwyer, les Wallabies révolutionnent le dispositif offensif sans se douter qu'elle a été «inventée» une décennie plus tôt par un ancien ailier d'Aurillac, Michel Peuchlestrade. La force des Wallabies ? Disposer d'ouvreurs et de centres (Slack, Horan, Little) capables d'attaquer très tôt l'adversaire en se positionnant au plus près de la ligne d'avantage avant d'avoir le ballon en mains.


Henri Laffont, Robert Poulain et Julien Saby, puis René Deleplace, Jean Devaluez et Pierre Conquet, et enfin Robert Bru, Pierre Villepreux et André Quilis : aucun des grands penseurs du rugby, ceux qui théorisèrent les mouvements à grands renforts de croquis et de schémas, de chaînages et de néologismes, n'ont jamais vraiment considéré l'attaque à plat comme un concept digne d'intérêt. Tout au plus une curiosité.

Pour vous rendre dans le Cantal, prenez le dernier train de minuit en gare d'Austerlitz. Les yeux encore mi-clos de sommeil, la bouche pateuse, le dos cassé, vous descendez du compartiment couchettes et débarquez sur une planète oubliée, au milieu de nulle part. Ou alors s'agit-il du centre de la galaxie, ainsi que l'annonce l'hôtel de l'Univers, planté en face de vous.

 
A Aurillac officiait un «sorcier» pas vraiment iconoclaste ni allumé. Michel Peuchlestrade, donc. Né en 1945, un 2 avril, dix saisons trois-quarts aile en Première Division avant de passer entraîneur pendant plus de trente ans. Référence absolue de l'attaque à plat, du moins en France, ou plutôt dans cette partie centrale d'Ovalie, cette terre du milieu, l'endroit sur le terrain où ce technicien considérait qu'il fallait se porter balle en mains le plus vite possible et à plusieurs.
 
Le regard, la voix et les gestes de cet homme affable, passionné, unique, créateur d'un style à contre-courant de l'orthodoxie ovale, me reviennent en mémoire quand je vois les All Blacks, le Racing 92 et Pau attaquer vivement à plat en première main derrière touche et mêlée. Lui n'a jamais cherché à retirer gloire de ce qu'il avait imaginé et mis en place, il n'a jamais attiré les médias ni les projecteurs. Quand il a tiré sa révérence juste un entrefilet, pas d'éloge ni d'apologie. Ça tombait bien, cela dit, ce passionnant n'a jamais cherché la reconnaissance.
 
«Ça fait quarante ans qu’on joue comme ça à Aurillac, se marre-t-il, quand je lui parle de son "invention", au téléphone. Et de signaler en préambule à notre discussion ce qu'il doit à «Deleplace et Devaluez, qui est Aurillacois, n’est-ce pas ?» Je lance le sujet mais c'est lui qui m'interroge : «On parle du placement initial ou de la prise de balle ? Sur le placement initial, le dix n’est jamais loin. Ne serait-ce que pour le timing de passe avec le demi de mêlée. Ça a été inventé pour fixer ceux qui  n’y allaient pas, justement, aux fixations. Le mieux, c’est le lancement sur phase statique, quand tu as seize mecs regroupés.»
 
Plus sourcier que sorcier, Michel Peuchlestrade est intarissable : «Pour contourner une défense, ce qui reste le but pour marquer des essais, il ne faut pas qu’elle glisse, justement. Et donc pour qu’elle ne glisse pas, il faut fixer l’ouvreur et les deux centres, il faut jouer l’affrontement en étant menaçant sur les premiers intervalles. Parce que la question reste : comment aller au bout ? Avec Thierry (Peuchlestrade, son neveu), qui jouait ouvreur, on avait mis au point le semi-blocage au centre, à coup d’épaules, en pivot, pour faire ressortir la balle pour le demi de mêlée qui ouvrait loin vers l’arrière ou directement l’ailier, parfois.»

Des noms attendent le rebond, Rocacher, Trémouille, Laszack, Bonal, les frères Tiravy. Et aussi l’immense Victor Boffelli, qui officiait en flanker jusqu'au début des années 80, à mes débuts de journaliste. Je demande encore à Michel pourquoi son idée n’a pas pris ailleurs, à cette époque-là ? «Parce que ce n’est pas dans la culture du jeu à la française. Et pour moi, ce n’était pas un principe idéologique.» Son combat part d'un simple credo : «Avancer, et donc ne pas reculer au point d’affrontement.»

Aujourd’hui Michel Peuchlestrade se satisfait de son rôle de spectateur. Enfin, pas vraiment. «J’interviens deux fois par semaine au centre de formation.» Celui d'Aurillac, vous l'aviez deviné. A la demande de Walter Olombel, ancien ailier de Béziers en 1992 et 1999, natif du Tarn. «C’est mon instinct de prof de gym ! On me demande d’évoquer la mêlée, la défense, comment libérer les bras au contact… Je vois que je ne suis pas le seul à continuer. Michel Ringeval s’occupe bien de Chambéry... » En route pour la montée en Pro D2.

 

lundi 12 septembre 2016

Sans le savoir

A l'image  de M. Jourdain qui fait de la varappe sans le savoir, il arrive que le rugby prenne de la hauteur. Mais ce n'était pas le week-end dernier. Si Taumalolo, ci-devant installateur d'ascenseur, avait eu la répartie dont Serge Simon fit preuve en 1998 au Stade de France, il aurait glissé à son vis-à-vis calé sur ses épaules : "Et où veux-tu que je te dépose ?". Cela dit, on se sait pas trop où ça mène puisqu'aujourd'hui le médecin-taxi des piliers serre les gonds de Laporte...
 
Dimanche, à l'heure de l'apéritif, ce Grenoble-Brive a fait beaucoup pour la notoriété de l'ovale. Fissuré, le grand projet qui doit porter ce Championnat que le monde nous envie sur le toit du monde d'ici 2023, et retour en trois coups de manivelle à l'époque pas si lointaine qu'on croyait rangée dans les tiroirs aux souvenirs, celle des vilaines générales dont Nice-Lavelanet en 1972 est l'artefact paléolithique, Toulon-Bègles de 1991 la référence absolue, et Bourgoin-Agen version 2005 l'application.
 
Je devine le sourire grinçant de Luc Ferry. N'a-t-il pas écrit dans Le Figaro du 8 septembre, jeudi dernier, que les sportifs le "bassinent  avec cette fiche pression dont ils doivent, parait-il, se libérer" ? S'il avait comme nous assisté à la minute de décompression des deux équipes au moment de déposer les cacahuètes sur la table basse du salon, il aurait vu que la pression, mieux vaut l'avoir en demis plutôt que les épaules.  
 
Ferry si peu féru d'activité physique titrait "No sport", se rappelant que l'expression est anglaise. Mais nous, Français, l'avons considérablement déformée. Il n'a pas tellement tort, cela dit, quand il souligne que "des transcendances, qui n'ont plus rien de divin ni de cosmologiques," sont "enracinées (...) au plus profond de l'humain, et souvent, il faut bien le dire, de l'humain le plus ordinaire, le plus "normal" qui soit."
 
A commencer par le fameux triptyque olympien citius, fortius, altius (plus vite, plus fort, plus haut). Avant d'illustrer la conquête de la performance à tous prix, elle constituait il y a deux siècles un programme pédagogique de haute volée, celui du collège d'Arcueil. A savoir développer à la fois les capacités physiques, intellectuelles et spirituelles des élèves. Plus vite les jambes, plus forte la pensée, plus haut l'esprit...
 
Quand on donne sur le sport du champ libre à un philosophe de faible amplitude, il faut s'attendre à ce qu'il manque de souffle à un moment ou à un autre. Question d'entraînement. Luc Ferry aura oublié que la poésie était inscrite aux épreuves olympiques anciennes, que Pythagore, pour qui tout était nombre - sans doute préposé au tableau d'affichage dans sa jeunesse - s'était illustré en boxe (on disait pancrace) au point d'être sacré champion. Sans parler de Jacques Derrida, qui se rêvait footballeur professionnel plutôt que déconstructeur. 

Mais pour ce qui est des "fans zones dévastatrices, des supporteurs braillards (est-ce pour cela que notre ministre des Sports s'est ému de ce billet ?), des hurlements des commentateurs sportifs, des médias tétanisés d'angoisse à l'idée de voir baisser l'audimat et des mercenaires immatures et cupides élus au rang de divinités quand les véritables créateurs de civilisation sont rejetés dans l'ombre," on ne peut que lui donner raison. C'est agréable quand ça s'arrête.

Reste que si le sport tel que l'entend notre société de consommation et de spectacle n'est plus un divertissement du corps et de l'esprit, ainsi que le suppose sa racine étymologique, il n'en demeure pas moins de grande valeur. En pointe parmi les penseurs, le philosophe Pierre Bourdieu mais aussi l'éthologue Konrad Lorenz ont redessiné la carte du sport, l'un à l'aune de la sociologie, l'autre de la psychologie.

Comme Taumalolo avec Monsieur Jourdain, je ne résiste pas au plaisir d'élever mon propos en vous livrant cette citation de Lorenz tiré de son ouvrage d'actualité, "L'Agression", contrepoint aux débordements de Lucre Ferry : "Il (le sport) éduque à contrôler consciemment son propre (celui de l'être humain) comportement de combat. L'esprit d'équipe confère une authentique valeur à de nombreux types de comportement social, motivés par l'agression. Les sports les plus durs, surtout lorsqu'ils demandent la coopération d'un groupe plus large, permettent aux nations de lutter l'une contre l'autre dans une compétition qui n'engendre nulle haine nationale ou politique."

En cela, la générale de dimanche nous ramène à l'essence de notre être, ce combat qui nous compose, cette agressivité jamais éteinte, ce feu brûlant de violence mal contenue, cette irruption volcanique qui fait "complètement" disparaitre "la patine de l'humanité", dixit Anton Oliver. Plus prosaïquement, elle raconte surtout à quel point ce Trop 14 déborde de tensions. On aimerait tant qu'elles s'expriment comme le fit avec talent, justesse et pugnacité Charles Ollivon en bout d'aile au terme de Toulouse-Toulon.

lundi 5 septembre 2016

La gloire des tortues


Parti en vacances depuis longtemps et loin, voilà que vous revenez, parce qu'il le faut, et vous découvrez le classement du Glop 14 : premier Brive et son plus petit budget ; deuxième ex-aequo La Rochelle. Devant le champion de France. Bam ! Vous tombez le cul sur la chaise qui, fort heureusement, se trouve juste derrière vous, sans quoi vous finissiez comme Rorott Kockyx.

Bien sûr que ce n'est pas fait pour durer, que Toulon va virer Don Diego Dominguez - ce que je vous annonçais il y a peu - avant de repartir en haute mer, que le G 6 (G comme gros, gros le budget, gros l'effectif, grosse l'ambition, gros comme l'ego des présidents) va reprendre la main sur le haut du panier ; bien sûr que l'aventure brivo-rochelaise n'est qu'une passade d'été à l'ombre et dans l'herbe haute. Mais elle nous fait du bien.

Qu'on n'aille surtout pas remarquer que les Corréziano-Maritimes pratiquent l'étouffade solidaire : ils aèrent, développent, animent et relancent aussi. Certes, rien de tout cela ne pourrait déstabiliser l'adversaire s'il n'y avait ces chers fondamentaux sans lesquels le rugby (on parle du XV, hein ?) ne serait alors qu'un divertissement olympique. Mais ils ne s'y limitent pas, et c'est là où ils intéressent.

Brive et La Rochelle ont ceci de commun que leur modèle économique ne repose pas sur le grand mécénat, l'actionnariat majoritaire, le pouvoir présidentiel, le miroir médiatique, le recrutement tapageur, la délocalisation avantageuse, le dépassement masqué du salary cap. C'est même tout l'inverse et c'est sans doute ces raisons qu'ils interpellent une société ovale qu'on sent bien actuellement en recherche de repères.

Alors oui, Brivistes et Rochelais ont recommencé très tôt l'entraînement. Mais c'est aussi le cas de Grenoble et de quelques autres clubs qui se trouvent aujourd'hui en détresse. Attaquer la saison fin juin n'a jamais été une garantie de réussite en août et encore moins en septembre, il suffit pour s'en convaincre de regarder les précédents classements après trois journées.

Brive se motive pour fêter les vingt ans de son sacre européen quand La Rochelle attaque le coeur de son projet "élite" après s'être maintenu à flot. Mais pour trouver du sens à ce crime de lèse-majestés qui consiste à s'inviter au banquet des nantis quand il n'y a que six places autour de la table à gâteau, sans doute faut-il plonger plus profondément dans ce qui constitue l'âme de ces deux clubs.



Après l'épisode "Belle et Sébastien", l'équipe briviste a compris à ses dépends qu'il n'y a pas d'homme providentiel qui dure, et d'ailleurs la Corrèze hors rugby paye là aussi pour savoir. Les Rochelais, eux, ont su s'adapter et faire de leur enclavement une identité remarquable depuis la visite de Richelieu, point cardinal de leur histoire. "On n'expliquait pas le rugby avant, on ne va pas l'expliquer maintenant ; sinon, on va passer pour des cons !", grimage Patrice Collazo, le Long John Silver rochelais.

Citez le nom du président briviste ? Citez le principal sponsor rochelais ? Nous sommes là à rebours du courant dominant. Et il se pourrait que cette saison soit celle qui rééquilibrera peut être durablement les tendances. Oh, certes, en mai, les gros auront fait ce qui leur plait, à savoir se hisser en phase finale, mais je suis certain qu'il restera deux ou trois repoussés sur le perron, à regretter de n'être point partis à temps.

Voilà, c'est ça : Brive et La Rochelle sont les tortues d'Ovalie, une carapace sur le dos, beaucoup d'abnégation, de volonté, d'humilité ; pas glamour pour deux euros, un peu de gras sur le bide (n'est-ce pas Rico ?), les mains cagneuses, le poil dru joli thorax, et pas rasés avec ça. Rien pour faire la couverture d'un calendrier. Cela dit, elles s'en foutent bien, les tortues, au moment de prendre leurs distances dès l'ouverture de la saison.

On ne s'en lasserait pas tant c'est rafraichissant. On pense à notre Gariguette nationale (aka Sylvie). Dimanche midi, elle sait où se rendre. Nous serons avec elle en pensée, au Stade des Alpes croiser pour de vrai son idole Arnaud Méla qui affrontera (pas sûr qu'il joue, cela dit) ses protégés. Double parfum à savourer. Parce que le coup d'après, je monterai en première ligne, Brive recevant La Rochelle...

On rêve, non ? Exit Montpellier, Toulon, Toulouse, Bordeaux, Clermont et le Racing ; place aux forçats de la pelouse, aux oubliés des premières pages. Ce qui est en bas est en haut. Un monde à l'envers et c'est bon. Nous allons suivre cette ascension. Comme toute montée elle appelle une descente. On la souhaite aux Brivistes et aux Rochelais la plus tardive possible.

Quoi qu'il en soit par la suite, ces deux-là auront envoyé un message d'espoir à ceux qui triment en silence, qui œuvrent dans l'ombre, qui suent sans rien demander. Andy Warhol, qui aurait fait un bon troisième-ligne à l'image du talentueux Mr. Ripley, annonçait un quart d'heure de gloire à tous. Sans abuser, si on peut pousser l'éclairage pendant un mois, personne ici ne s'en plaindra.

jeudi 1 septembre 2016

Mens sana

Il arrive que père et mère se décident au dernier moment pour choisir le prénom de leur enfant. D'ailleurs, si vous avez l'occasion de prendre le Dernier train pour Busan, vous vivrez cet épisode assez mordant. Les nouveaux licenciés de rugby, ceux de la génération Trop 14, travailleurs immigrés recrutés par fax et sur vidéo, semblent avoir trouvé la solution.

Prénommer leur enfant du nom de la ville dans laquelle ils s'illustrent. Rochelle Botia, donc. Comme avant lui Brive Nepia - le neveu de l'immense George, celui dont un de ses coreligionnaires, arrière international, disait : "La question n'est pas de savoir qui est meilleur que lui mais plutôt qui mérite de lui lacer ses chaussures..."

J'aime vraiment beaucoup cette anecdote. Sa longue carrière terminée, - il jouait encore en championnat des provinces de Nouvelle-Zélande à 35 ans - Nepia s'est tourné vers l'arbitrage. Puis, l'âge aidant - il devait bien avoir cinquante-cinq ans -, là-aussi arriva le moment de mettre fin aux coups de sifflets en short dans la boue - il pleut souvent en Nouvelle-Zélande et à cette époque les terrains, d'anciens champs de ferme, étaient gras.

A la fin d'un match disputé entre Hawke's Bay (là où Big Ben Tameifuna a appris le rugby, soit dit en passant) et je ne sais plus quelle équipe (j'ai la flemme d'aller chercher son nom dans un des livres qui meublent les murs de mon bureau au sous-sol), l'arrière de l'équipe visiteuse qui venait de marquer un essai s'approcha de l'arbitre, natif de la région, et lui demanda en guise d'hommage et de cadeau de retraite s'il voulait bien tenter la transformation. Ce qu'il fit, sous l'ovation du public. C'était George Nepia. Et Bob Scott (arrière d'Auckland, ça y est j'ai retrouvé), un genou à terre, lui tenait le ballon.

J'attends donc comme vous avec impatience la naissance d'Oyonnax Weepu, de Robinson Williams, Grenoble Jackman, Bayonne du Plessis, aussi de Loup Pienaar (vous voyez, on en revient toujours à Montpellier). Pour Paris, c'est déjà fait même si je doute qu'on jouait au rugby à Troie. A l'époque, cela dit, c'était déjà du recrutement sauvage et le match s'éternisa, jusqu'à ce ballon porté des Grecs dans le côté fermé bien au-delà des arrêts de jeu...

En 1962 est né en Nouvelle-Zélande au sein de la famille Miller un petit André Boniface, soit après le passage de la tournée tricolore, sans doute en souvenir ému des cadrages-débordements du Montois. Depuis c'est tout, à ma connaissance (Matthieu me parle d'un Maso en Afrique du sud). Ah, les Néo-Zélandais, ! Outre qu'ils dominent le rugby mondial sur le terrain, en coulisses et sur tapis vert, ils ont la plus drôle des histoires de prénom. Vous la voulez ?

En aidant mon ami Antoine Aymond à rédiger une des légendes de son prochain ouvrage - Nemer Habib est lui aussi dans le coup - qui racontera en octobre et par le menu les plus beaux tests-matches de l'histoire de ce jeu qui nous relie, je suis tombé sur un deuxième-ligne All Black, Tori Reid. Pour les Maoris, il est considéré, avec Tiny Hill, comme le plus grand à ce poste.

A Tokomaru Bay, sur la pointe est de l'île du nord, minuscule port coincé entre deux montages, ses parents, une fois devant le registre des naissances, cherchèrent dans l'urgence un prénom. Ne trouvant rien, ils se souvinrent du dispensaire où madame Reid venait d'accoucher. Tori Reid, car c'est de lui dont il s'agit (de la tribu des Ngati Porou, comme Nepia), a fait ensuite une immense carrière à Hawke's Bay et chez les All Blacks. Sans pour autant atteindre la notoriété du grand George. Tori, donc. Contraction de Sana Torium.
 
Si l'on considère que le rugby contemporain a pris naissance dans les salles de musculation à remarquer l'épaisseur des biceps, la configuration des pectoraux et le découpé des abdominaux de nos licenciés du Glop 14 dont la besogne consentie pour accoucher de matches au forceps semble ne plus forcer notre admiration, quel prénom donneriez-vous à un enfant né sous fonte ?